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yaht, verbe, pro­gres­sif yah­ko, pas­sé yah­tyi, infi­ni­tif yah­tra

  1. poser, pla­cer
  2. rendre, faire deve­nir, trans­for­mer (par l’éducation)

yah­tû, verbe inten­sif, pro­gres­sif yah­tûn­go, pas­sé yah­tû­nyi, infi­ni­tif yah­tûn­da

  1. arran­ger, disposer

Exemples

Verbe simple

  1. Yah­ko­nai sa nûsh luruk sa trûsta.
    yah­ko-nai
    poser.PROG-H
    sa
    le.M
    nûsh
    mar­mite.DAT
    luruk
    souffle
    sa
    le.M
    trûs-ta
    feu-GEN
    Elle pose la mar­mite sur les flammes.
  2. La mît yah­koyen­na e yâteh ê.
    la
    le.H
    mît
    oncle
    yah­ko-y-enn‑a
    rendre.PROG-3.H-être.PASS-SG
    e
    un
    yâ-teh
    for­ge­ron-INST
    ê
    1.SG.DAT
    Mon oncle a ten­té de faire de moi un forgeron.

Verbe intensif

  1. Yah­tû­nyi­mong nany domi­leh wha têhash leutag.
    yaht-ûny-imong
    poser-INT.PASS-1.PL
    nany
    deux
    dom-ileh
    ligne-INST
    wha
    les
    tê-hash
    idole-PL.DAT
    leu­tag
    champ
    Nous avons dis­po­sé les idoles en deux lignes sur un champ.

Étymologie

De l’an­cêtre *jaxt « tou­cher ».
On touche quelque chose pour le prendre et éven­tuel­le­ment le poser quelque part.
Poser quelque chose, c’est chan­ger sa situa­tion spa­tiale, de là on passe au sens de « faire chan­ger d’é­tat », res­treint ici à « faire chan­ger d’é­tat par l’é­du­ca­tion » ; en effet l’ap­pren­tis­sage est conçu un peu comme la construc­tion d’une mai­son (poser des pierres).

Le verbe inten­sif signale que le patient du verbe, la chose posée, est plurielle

Dérivés

Verbe simple

  • yah­trog, nom M, gén. yah­tro­gi­la : édu­ca­tion, appren­tis­sage (< yaht + -og suf­fixe nominalisateur)
  • yah­três, nom H, gén. yah­três­ta : édu­ca­teur, maître (< yaht + -ês suf­fixe agentif)

Verbe intensif

  • yah­tûn­dog, nom, gén. yah­tûn­do­gi­la : dis­po­si­tion, arran­ge­ment (< yah­tû + -og suf­fixe nominalisateur)

nûs, nom M, géni­tif nûs­ta

  1. mar­mite, réci­pient pour la cuisson
  2. conte­nu de la mar­mite, repas
  3. repas en famille
  4. vie de famille

nûs, loca­tif

  1. pen­dant le repas

Exemples

Nom

  1. La îk datya e nûs yole yela.
    la
    le.H
    îk
    grand-mère
    datya
    modeler_argile.INF
    e
    un
    nûs
    mar­mite
    yol‑e
    fille-DAT
    yela
    3.H.GEN
    Ma grand-mère est en train de fabri­quer une mar­mite en terre pour sa fille.
  2. Tir sak nûs sen­na naskes ? Hul kinaskî.
    tir
    ou
    sak
    ce_ci.M
    nûs
    repas
    s‑enna
    3.M-être.PASS
    nask-es
    lourd-M
    h‑ul
    1.SG-ne_pas_être.PRS
    ki-aska‑î
    ici-assis-ABL
    Ce plat était lourd, non ? Je n’ar­rive pas à me lever.
  3. Wha nûsa taut towho.
    wha
    les
    nûs‑a
    repas-PL
    taut
    à_la_maison
    towh‑o
    joyeux-P
    Les repas chez nous sont joyeux.
  4. E mumu galai yemo­li­sha e nûs galesh.
    e
    un
    mumu
    mère
    gal-ai
    triste-H
    ye-moli­sh‑a
    3.H-conduire.IRR-SG
    e
    un
    nûs
    vie
    gal-esh
    amer-M
    Une mère triste et c’est la famille qui devient triste. (pro­verbe)

Locatif

  1. Shi­ko­hul nûsusa.
    shi­ko-h-ul
    boire.PROG-1.SG-ne_­pas-être.PRS
    nûs-usa
    repas-pen­dant
    Je ne bois pas pen­dant les repas.

Étymologie

De l’an­cêtre *namas « grande mar­mite », on est vite pas­sé par synec­doque au conte­nu de celle-ci.
Le repas cuit à la mar­mite a des conno­ta­tions domes­tiques, par oppo­si­tion à un repas pris en exté­rieur qui se pré­pare dans un plus petit réci­pient, ou direc­te­ment sur la flamme (quand il est seule­ment cuit…).
Trois ou quatre géné­ra­tion vivent sous le même toit de pierre, ce sont les femmes de la famille qui se charge du repas (à l’intérieur).

Dérivés

  • udû­so, adjec­tif : veuf (homme) (< ul- « sans » + nûs)

tyu­ro, adjec­tif

  1. maladroit·e, empoté·e
  2. mignon·ne (bébés ani­maux, enfants)

Exemples

  1. E tata tyu­rai yaz­gî saga yas­troge neugash.
    e
    un
    tata
    père
    tyur-ai
    mal­adroit-H
    yazg‑î
    bâtir.PASS-H
    saga
    ce_là.M
    yastrog‑e
    mai­son-DAT
    neug-ash
    tor­du-M.OBL
    Un type mal­adroit a bâti cette mai­son tordue.
  2. Wha gow­hon del makow­hon­na tyu­ro tyuro !
    wha
    les
    gow­hon
    agneaux
    del
    qui
    mako-who-nna
    sau­ter.PROG-P-être.PASS
    tyur‑o
    mignon-P
    tyur‑o
    mignon-P
    Les agneaux sont très mignons quand ils essayent de sauter !

    Étymologie

    De l’an­cêtre *kri-guri « man­chot », for­mé du pré­fixe pri­va­tif *kri- et du nom *guri « mains, bras ».
    Du sens de han­di­cap phy­sique, on est pas­sé à celui de han­di­cap com­por­te­men­tal, auquel s’est rajou­té ensuite une accep­tion hypo­co­ris­tique : les gestes peu assu­rés d’un agneau font par­tie de son charme.

Nous sommes à la veille de décembre, ce qui signi­fie un nou­veau mois de créa­tion lexi­cale : le Lexembre.

Quoique je par­ti­cipe régu­liè­re­ment à l’exer­cice depuis main­te­nant sept ans (d’a­bord sur mon blog anglo­phone), j’ai failli l’é­di­tion pré­cé­dente en m’ar­rê­tant avant le qua­tor­zième jour… pour une rai­son de motivation.
C’est que les langues employées étaient neuves, très neuves, trop neuves, tout ce que je fai­sais était sau­pou­drer une struc­ture brin­que­ba­lante de voca­bu­laire sans grande réflexion cultu­relle derrière.
De plus, cela fai­sait direc­te­ment suite à l’autre défi col­lec­tif de fin d’an­née, c’est-à-dire au NaNo­Wri­Mo et ses 50000 mots à rédi­ger en un mois (objec­tif que, bien sûr, je n’ai pas atteint non plus).
Plu­tôt que de subir la pres­sion jour­na­lière de la publi­ca­tion, j’ai pré­fé­ré tra­vailler à mon rythme sur un nou­veau pro­jet, sans lien avec les anciens, avec l’ob­jec­tif d’a­voir quelque chose de cohé­rent à pré­sen­ter à qui me deman­de­rait « c’est quoi le résul­tat de ‟créer une langue” ? ».

Un an plus tard, j’ai une gram­maire d’une qua­ran­taine de page assor­tie d’un lexique de presque 400 mots.
J’ai aus­si ten­té d’é­tof­fer un peu plus la culture des locu­teurs pour m’im­pré­gner au plus près d’un mode de pen­sée dis­tinct pour les traductions.
Cette langue s’ap­pelle le dye­log, et je vais l’in­tro­duire ici vite fait.

Le dyelog en quelques mots

Locuteurs

Il s’a­git d’une langue par­lée par un peuple de ber­gers se nom­mant eux-mêmes Shu­tya, habi­tant des hauts-pla­teaux aux confins d’un grand empire.
Ils sont peu bel­li­queux, quoique par­mi eux cer­tains se révèlent doués de pou­voirs ther­mo­ki­né­tiques ; contrô­ler la tem­pé­ra­ture par la pen­sée leur sert sur­tout à éco­no­mi­ser du com­bus­tible pour se chauffer.

Leurs dieux sont divi­sés en deux groupes, les têhes ou idoles de pierre, à qui ils font des offrandes pro­pia­toires, et les sahe­gi­rû ou mer­veilles natu­relles telles que le soleil et l’hi­ver, à qui il n’est d’au­cune uti­li­té de s’a­dres­ser tant elles sont puissantes.

Prononciation

Les cinq voyelles a e i o u se pro­noncent brèves, â ê î ô û en sont les ver­sions longues.

Les consonnes sont :

Labiales Api­cales Rétro­flexes Pala­tales Vélaires
Occlu­sives t d ty dy k g
Fri­ca­tives s z sh zh h
Nasales m n ny
Laté­rales l ly
Rou­lée r
Semi­voyelles y wh w

Les rétro­flexes sont pro­non­cées avec la pointe de la langue sur l’ar­rière du palais dur.
Les pala­tales se pro­noncent avec l’ar­rière de la langue sur le palais dur (ly est com­pa­rable à l’i­ta­lien gli) ; h est une fri­ca­tive com­pa­rable à l’al­le­mand ch.
Wh est un w pro­non­cé sans vibra­tion des cordes vocales.

L’ac­cent tonique est tou­jours sur la pre­mière syl­labe d’un mot.

Grammaire

Noms

Les noms sont divi­sés en quatre genres : humain, natu­rel, fabri­qué, et pluriel.
Ce der­nier recouvre tous les plu­riels des autres genres, plus quelques noms mas­sifs ou abs­trac­tion comme mush « eau » et molen­do « communauté ».

Il y a quatre cas de décli­nai­son : le nomi­na­tif, qui est le cas par défaut, le datif qui sert pour les autres argu­ments du verbe quand ils sont défi­nis (par un article ou un pos­ses­sif), le géni­tif pour les pos­ses­seurs défi­nis, et l’ins­tru­men­tal pour le rôle d’instrument/accompagnant.

Adjectifs

Les adjec­tifs s’ac­cordent en genre avec le nom qu’ils déter­minent, et en cas (mais seule­ment sur l’axe nominatif/autre).

Locatifs

En fran­çais, on les tra­dui­raient par des noms de lieu ou des adverbes, il s’a­git en dye­log de sa propre caté­go­rie qui sert aux com­plé­ments de lieu, de temps et d’é­tat : taut « à la mai­son », sah­ta « la nuit », tuw­han « en guerre ».
Ils ne se déclinent pas comme les noms, mais prennent des suf­fixes de posi­tion (« debout », « allongé·e », etc.) et des suf­fixes pré­ci­sant si l’on vient de ou si l’on se dirige vers.

Verbes

Les verbes se conjuguent sur quatre bases dis­tinctes, exem­pli­fiées ici par « observer » :

  • la base irréelle, la plus basique, uti­li­sée pour l’im­pé­ra­tif et le sub­jonc­tif (kak)
  • la base pro­gres­sive, uti­li­sée pour le pré­sent, l’im­par­fait et le géron­dif (kako)
  • la base pas­sé, uti­li­sée pour le pas­sé (kau­gi)
  • la base infi­ni­tive, uti­li­sée pour l’in­fi­ni­tif et toutes les déri­va­tions nomi­nales (kau­ta)
    Sur ces quatre bases, divers affixes per­mettent d’ac­tua­li­ser le temps, le mode, la per­sonne et le genre du sujet.
    Pour les verbes de per­cep­tion, le verbe s’ac­corde avec la chose per­çue, et non pas avec la per­sonne qui perçoit.
    Il existe éga­le­ment un suf­fixe d’in­ten­si­té, qui peut signa­ler que l’ob­jet du verbe est plu­riel, ou que l’ac­tion se répète dans le temps, ou que l’ac­tion dure longtemps.

Format du Lexembre

Je pré­sen­te­rai un mot par jour, plus ses éven­tuels déri­vés, ain­si que des phrases d’exemple pour mettre cha­cun de ses sens éven­tuels en contexte.
J’es­père tenir le rythme cette année.

Si vous par­ti­ci­pez aus­si au Lexembre, n’hé­si­tez pas à vous signa­ler dans les com­men­taires, et bonne chance à vous !

Le der­nier livre que j’ai lu est un essai sur le thème des langues construites, ques­tion­nant les liens entre la poé­sie (au sens large) et la créa­tion lan­ga­gière (au sens large).

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Com­ment des gens vont-ils s’ap­pro­prier une langue arti­fi­cielle jus­qu’à y com­po­ser des vers ? C’est la ques­tion que se pose le poète autri­chien Cle­mens J. Setz dans les 400 pages de ce livre.

Celui-ci débute avec un résu­mé de l’his­toire du bliss, inven­tée par Charles Bliss (18971985) au milieu du siècle der­nier. Cette langue consiste en un sys­tème modu­laire de sym­boles conçus pour être les plus ico­niques pos­sible. C’est au Cana­da dans les années 70 que des édu­ca­teurs intro­duisent le bliss auprès d’en­fants lour­de­ment han­di­ca­pés, inca­pables, en rai­son de la pré­ci­sion motrice requise, d’u­ti­li­ser un quel­conque lan­gage oral ou ges­tuel. En pra­tique, cela consiste en une cen­taine de signes ins­crit sur une tablette, que les enfants indiquent à la suite pour for­mer des mots et des phrases plus com­plexes.
Cela fai­sant, ils peuvent enfin témoi­gner de leur vie inté­rieure que parents et édu­ca­teurs ne soup­çon­naient pas, qui avaient ten­dance à les consi­dé­rer comme des « légumes » puisque ne dis­po­sant pra­ti­que­ment d’au­cun moyen d’é­change struc­tu­ré avec le monde exté­rieur. Les témoi­gnages, sou­vent poi­gnants, que Setz a recueillis pour cette par­tie montrent bien ce contraste de l’a­vant et après intro­duc­tion au bliss. Il s’est par­ti­cu­liè­re­ment inté­res­sé au cas de Mus­ta­fa Ahmed Jama, Sué­dois d’o­ri­gine soma­lienne, auteur d’un recueil de poèmes com­po­sés entiè­re­ment en bliss, qu’il consi­dère comme sa langue maternelle.

Le cha­pitre Liber Pic­to­rum pré­sente un poème sin­gu­lier de H.C. Art­mann (19212000), « Ver­such einer klei­nen Chres­to­ma­thie mit Zis­ter­nen », pré­sen­té par ce der­nier comme une his­toire picte. Or les Pictes, peuple écos­sais de l’An­ti­qui­té, ne nous ont lais­sés presque aucune trace écrite, au point que nous ne sommes tou­jours pas sûrs quelle sorte de langue exac­te­ment ils par­laient. Une langue cel­tique ? Ou d’une autre branche indo-euro­péenne ? Ou un iso­lat ? Hol hen amas­sar am ttarf­fon crimm, ni:hoel lit­tam… Ce qu’a écrit Art­mann res­semble à un mélange de gaé­lique et de gal­lois ; mais ce n’est ni l’un ni l’autre.

On découvre ensuite des extraits du jour­nal intime de Cle­mens J. Setz, datant d’une période dif­fi­cile de sa vie coïn­ci­dant avec son appren­tis­sage du volapük. Le volapük est la pre­mière langue auxi­liaire ayant béné­fi­cié d’une large cou­ver­ture média­tique mon­diale, à la fin du dix-neu­vième siècle, avant de som­brer dans un rela­tif oubli au bout de dix ans à peine. Durant les extraits, Setz tente d’ex­pri­mer son res­sen­ti avec des mots volapük, y com­pose des poèmes ; à côté de cela, on découvre l’his­toire d’autres auteurs ayant cher­ché à trou­ver du sens au-delà des langues exis­tantes, comme : l’é­cri­vain de SF Samuel Dela­ny qui en fit le thème de son célèbre roman Babel-17 ; la lin­guiste Suzette H. Elgin (19372015) qui créa la langue « intrin­sè­que­ment fémi­niste » láa­dan ; James Keil­ty, l’i­déo­lin­guiste qui à force de déter­mi­na­tion réus­sit à faire jouer des pièces de théâtre dans la langue de Pra­shad, son pays ima­gi­naire ; Robert Ben Madi­son, qui lui ins­tan­tia sa langue et son pays ima­gi­naire dans la réa­li­té sous la forme de la micro­na­tion Talos­sa.

Mais toute expres­sion lin­guis­tique n’est pas for­cé­ment por­teuse de sens, même quand elle est super­fi­ciel­le­ment iden­tique à des énon­cés en langues natu­relles. Cle­mens J. Setz consacre un cha­pitre au grom­me­lot, cha­ra­bia employé par les comé­diens de théâtre qui peut être flé­chi de manière à res­sem­bler à une langue déter­mi­née grâce à ses into­na­tions, ses pho­nèmes, son rythme, mais sans inten­tion de cohé­rence ou de sens. Il rap­porte le cas étrange d’un grom­me­lot en langue des signes en 2013 à Sowe­to, lors des funé­railles de Nel­son Man­de­la. Pen­dant quatre heures, sur la tri­bune offi­cielle, un homme un peu per­du ges­ti­cu­la dans ce qui res­sem­blait de la manière la plus super­fi­cielle pos­sible à une inter­pré­ta­tion en langue des signes des dis­cours de per­son­na­li­tés. Ce fut un énorme scan­dale, sur­tout au sein de la com­mu­nau­té mon­diale des Sourds effa­rée de se voir ain­si moquée.

Dans un registre plus posi­tif, l’an­cienne cli­nique psy­chia­trique Gug­ging près de Vienne, fon­dée par le doc­teur Navra­til, comp­ta par­mi ses patients plu­sieurs poètes réin­ven­tant l’al­le­mand dans leurs écrits :
August Wal­la (19362001), Edmund Mach, et Ernst Her­beck, ce der­nier consi­dé­ré par Setz comme un des meilleurs poètes en langue alle­mande du XXe siècle. Enfin, le der­nier degré de la poé­sie sans le moindre sens —mani­feste ou incons­cient— est atteint avec Arli, le chien d’E­li­sa­beth Mann Bor­gese, à qui elle avait « ensei­gné » la machine à écrire. On peut ten­ter de recon­naître des frag­ments de mots dans ses lignes, mais il est dou­teux que le chien ait jamais com­pris la rela­tion entre signi­fiant et signifié.

La der­nière par­tie de l’es­sai a l’es­pé­ran­to en arrière-plan, cette langue à voca­tion auxi­liaire inter­na­tio­nale qu’on ne pré­sente plus. Plu­tôt que de réca­pi­tu­ler encore une fois les étapes de sa créa­tion et de son déve­lop­pe­ment, Setz pré­fère pré­sen­ter la vie extra­or­di­naire du poète espé­ran­tiste d’o­ri­gine russe Vas­si­li Ero­chen­ko (18901952). Deve­nu aveugle très tôt dans sa vie, il obtient, grâce à son accès au réseau inter­na­tio­nal for­mé par l’es­pé­ran­to, la pos­si­bi­li­té de voya­ger en Europe, au Japon, en Chine, en Asie du sud-est. Poly­glotte génial, il recueille et com­pose des poèmes et des fables dans les langues de tous les pays qu’il découvre en plus de l’es­pé­ran­to. Homme enga­gé, il met son talent au ser­vice des asso­cia­tions socia­listes, à l’é­poque assez proches de la langue inter­na­tio­nale. Cela n’a pas été sans lui cau­ser quelques pro­blèmes avec les auto­ri­tés. En géné­rale, les dic­ta­tures des années 30 furent assez méfiantes vis-à-vis des pro­jets inter­na­tio­na­listes, que ce soit en Alle­magne nazie, dans le Japon impé­rial ou en Union soviétique.

Die Bie­nen und das Unsicht­bare se dis­tingue d’autres livres de ma biblio­thèque en ceci qu’il ne s’a­git pas là d’ex­po­ser une méthode de créa­tion de langue, ou de théo­ri­ser le pour­quoi de cette construc­tion, ou d’es­quis­ser une his­toire de l’i­déo­lin­guis­tique. À tra­vers les nom­breuses anec­dotes qui émaillent le livre, l’au­teur nous dévoile des facettes de l’i­déo­créa­tion plus inti­mistes, liées plus fer­me­ment à des des­tins par­ti­cu­liers. Son style frais et direct rend la lec­ture agréable, même lors­qu’on est comme moi peu per­méable à la poésie.