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Nous sommes à la veille de décembre, ce qui signi­fie un nou­veau mois de créa­tion lexi­cale : le Lexembre.

Quoique je par­ti­cipe régu­liè­re­ment à l’exer­cice depuis main­te­nant sept ans (d’a­bord sur mon blog anglo­phone), j’ai failli l’é­di­tion pré­cé­dente en m’ar­rê­tant avant le qua­tor­zième jour… pour une rai­son de motivation.
C’est que les langues employées étaient neuves, très neuves, trop neuves, tout ce que je fai­sais était sau­pou­drer une struc­ture brin­que­ba­lante de voca­bu­laire sans grande réflexion cultu­relle derrière.
De plus, cela fai­sait direc­te­ment suite à l’autre défi col­lec­tif de fin d’an­née, c’est-à-dire au NaNo­Wri­Mo et ses 50000 mots à rédi­ger en un mois (objec­tif que, bien sûr, je n’ai pas atteint non plus).
Plu­tôt que de subir la pres­sion jour­na­lière de la publi­ca­tion, j’ai pré­fé­ré tra­vailler à mon rythme sur un nou­veau pro­jet, sans lien avec les anciens, avec l’ob­jec­tif d’a­voir quelque chose de cohé­rent à pré­sen­ter à qui me deman­de­rait « c’est quoi le résul­tat de ‟créer une langue” ? ».

Un an plus tard, j’ai une gram­maire d’une qua­ran­taine de page assor­tie d’un lexique de presque 400 mots.
J’ai aus­si ten­té d’é­tof­fer un peu plus la culture des locu­teurs pour m’im­pré­gner au plus près d’un mode de pen­sée dis­tinct pour les traductions.
Cette langue s’ap­pelle le dye­log, et je vais l’in­tro­duire ici vite fait.

Le dyelog en quelques mots

Locuteurs

Il s’a­git d’une langue par­lée par un peuple de ber­gers se nom­mant eux-mêmes Shu­tya, habi­tant des hauts-pla­teaux aux confins d’un grand empire.
Ils sont peu bel­li­queux, quoique par­mi eux cer­tains se révèlent doués de pou­voirs ther­mo­ki­né­tiques ; contrô­ler la tem­pé­ra­ture par la pen­sée leur sert sur­tout à éco­no­mi­ser du com­bus­tible pour se chauffer.

Leurs dieux sont divi­sés en deux groupes, les têhes ou idoles de pierre, à qui ils font des offrandes pro­pia­toires, et les sahe­gi­rû ou mer­veilles natu­relles telles que le soleil et l’hi­ver, à qui il n’est d’au­cune uti­li­té de s’a­dres­ser tant elles sont puissantes.

Prononciation

Les cinq voyelles a e i o u se pro­noncent brèves, â ê î ô û en sont les ver­sions longues.

Les consonnes sont :

Labiales Api­cales Rétro­flexes Pala­tales Vélaires
Occlu­sives t d ty dy k g
Fri­ca­tives s z sh zh h
Nasales m n ny
Laté­rales l ly
Rou­lée r
Semi­voyelles y wh w

Les rétro­flexes sont pro­non­cées avec la pointe de la langue sur l’ar­rière du palais dur.
Les pala­tales se pro­noncent avec l’ar­rière de la langue sur le palais dur (ly est com­pa­rable à l’i­ta­lien gli) ; h est une fri­ca­tive com­pa­rable à l’al­le­mand ch.
Wh est un w pro­non­cé sans vibra­tion des cordes vocales.

L’ac­cent tonique est tou­jours sur la pre­mière syl­labe d’un mot.

Grammaire

Noms

Les noms sont divi­sés en quatre genres : humain, natu­rel, fabri­qué, et pluriel.
Ce der­nier recouvre tous les plu­riels des autres genres, plus quelques noms mas­sifs ou abs­trac­tion comme mush « eau » et molen­do « communauté ».

Il y a quatre cas de décli­nai­son : le nomi­na­tif, qui est le cas par défaut, le datif qui sert pour les autres argu­ments du verbe quand ils sont défi­nis (par un article ou un pos­ses­sif), le géni­tif pour les pos­ses­seurs défi­nis, et l’ins­tru­men­tal pour le rôle d’instrument/accompagnant.

Adjectifs

Les adjec­tifs s’ac­cordent en genre avec le nom qu’ils déter­minent, et en cas (mais seule­ment sur l’axe nominatif/autre).

Locatifs

En fran­çais, on les tra­dui­raient par des noms de lieu ou des adverbes, il s’a­git en dye­log de sa propre caté­go­rie qui sert aux com­plé­ments de lieu, de temps et d’é­tat : taut « à la mai­son », sah­ta « la nuit », tuw­han « en guerre ».
Ils ne se déclinent pas comme les noms, mais prennent des suf­fixes de posi­tion (« debout », « allongé·e », etc.) et des suf­fixes pré­ci­sant si l’on vient de ou si l’on se dirige vers.

Verbes

Les verbes se conjuguent sur quatre bases dis­tinctes, exem­pli­fiées ici par « observer » :

  • la base irréelle, la plus basique, uti­li­sée pour l’im­pé­ra­tif et le sub­jonc­tif (kak)
  • la base pro­gres­sive, uti­li­sée pour le pré­sent, l’im­par­fait et le géron­dif (kako)
  • la base pas­sé, uti­li­sée pour le pas­sé (kau­gi)
  • la base infi­ni­tive, uti­li­sée pour l’in­fi­ni­tif et toutes les déri­va­tions nomi­nales (kau­ta)
    Sur ces quatre bases, divers affixes per­mettent d’ac­tua­li­ser le temps, le mode, la per­sonne et le genre du sujet.
    Pour les verbes de per­cep­tion, le verbe s’ac­corde avec la chose per­çue, et non pas avec la per­sonne qui perçoit.
    Il existe éga­le­ment un suf­fixe d’in­ten­si­té, qui peut signa­ler que l’ob­jet du verbe est plu­riel, ou que l’ac­tion se répète dans le temps, ou que l’ac­tion dure longtemps.

Format du Lexembre

Je pré­sen­te­rai un mot par jour, plus ses éven­tuels déri­vés, ain­si que des phrases d’exemple pour mettre cha­cun de ses sens éven­tuels en contexte.
J’es­père tenir le rythme cette année.

Si vous par­ti­ci­pez aus­si au Lexembre, n’hé­si­tez pas à vous signa­ler dans les com­men­taires, et bonne chance à vous !

Un petit tour d’ho­ri­zon de la néga­tion du verbe dans trois idéo­langues par­mi celles sur les­quelles j’ai le plus tra­vaillé. Quels sont les paral­lèles que l’on peut observer ?

À chaque fois, j’ai essayé de ne pas faire exac­te­ment comme en fran­çais (ou les autres langues euro­péennes de ma connais­sance). Mais un phé­no­mène res­sort tout de même ici : la néga­tion de l’im­pé­ra­tif est tou­jours dis­tin­guée de celle des phrases déclaratives.

Margoro

Phrases déclaratives

Auxiliaire kɛri

La néga­tion du verbe fait inter­ve­nir un auxi­liaire pla­cé entre le sujet et le verbe, le verbe kɛri dont le sens lit­té­ral est « man­quer de, ne pas avoir ».

  • Go kɛri limɔ dɛ.
    • 1SG man­quer voir 2SG
    • « Je ne te vois pas. »

En rai­son de son sens pre­mier, il rem­place com­plè­te­ment le verbe aton « pos­sé­der, avoir » lorsque celui-ci est nié.

  • Non kɛri diya­ra.
    • 1PL man­quer troupeau.chèvres
    • « Nous n’a­vons pas de chèvres. »

Et en tant que verbe, kɛri peut por­ter des suf­fixes modaux.

  • kɛri­ha” ga ga ?
    • 2PL man­quer-INT faire fait
    • « Est-ce que vous ne l’a­vez pas fait ? »

Verbes négatifs

Cer­tains verbes pos­sèdent un anto­nyme intrin­sè­que­ment néga­tif, par exemple wete « ne pas vou­loir » qui répond à tete « vou­loir ». Il n’ont donc pas besoin de l’auxi­liaire kɛri.

Impératifs

Pour l’ex­pres­sion de la défense, un autre auxi­liaire est employé : we « ne pas faire ». Celui-ci ne s’emploie jamais seul. De plus, comme il ne peut séman­ti­que­ment pas por­ter de suf­fixes modaux (inter­ro­ga­tion, degré de cer­ti­tude), il est à se deman­der s’il s’a­git vrai­ment d’un verbe ou s’il ne serait pas plus simple de le décrire comme une particule.

  • Di we arwa !
    • 3PL PROH venir
    • « Qu’ils ne viennent pas ! »

Les verbes qui ont une contre­par­tie néga­tive emploie celle-ci à l’impératif.

  • Go tete siro !
    • 1SG ne.pas.vouloir manger
    • « Pour­vu que je ne cède pas à la ten­ta­tion de man­ger ! », lit­té­ra­le­ment « que je ne veuille pas manger ! »

Ubaghuns tëhe

Phrases déclaratives

La néga­tion des phrases décla­ra­tives en ubag­huns tëhe consiste à don­ner un objet de sens néga­tif au verbe. Cela crée des com­pli­ca­tions syn­taxiques lorsque le verbe est intran­si­tif et ne peut donc pas régir d’ob­jet nor­ma­le­ment, ou lors­qu’il est tran­si­tif et a déjà un objet exprimé.

Verbes sans objet exprimé

Les deux mots néga­tifs prin­ci­paux sont gëdi « nulle part » et babon « rien/personne ». Le pre­mier vient après les verbes de mou­ve­ment (ter­mi­nai­son -es), le second après les verbes tran­si­tifs (ter­mi­nai­son -os), et les verbes attributifs/locatifs (ter­mi­nai­son -is) peuvent pré­sen­ter les deux.

  • Bëdi bikes gëdi.
    • 1SG voir-MOUV nulle.part
    • « Je ne vois rien » (les verbes de per­cep­tion sont des verbes de mou­ve­ment en ubag­huns tëhe)
  • Gibe gëtan­dos babon.
    • 2SG pleu­rer-TR personne
    • « Tu n’es triste pour personne. »
  • Tan­di kii­dins babon/gëdi.
    • 3SG atta­ché-ATT rien|nulle.part
    • « Il n’est atta­ché à rien/nulle part. »

Les verbes intran­si­tifs sont éga­le­ment nié avec babon, mais comme ils ne peuvent pas avoir d’ob­jet de par leur nature, il faut chan­ger la ter­mi­nai­son ver­bale -i en tran­si­tif -os :

  • Ong­ta dahigi.
    • doigt long-INT
    • « Un doigt est long. »
  • Ong­ta dahigos babon.
    • doigt long-TR rien
    • « Un doigt n’est pas long. »

Verbes avec objet exprimé

Un verbe a au maxi­mum deux argu­ments : le sujet et l’ob­jet, pas plus. Pour faire reve­nir le com­plé­ment éven­tuel rem­pla­cé par gëdi ou babon, il faut employer donc une construc­tion sérielle, c’est à dire faire suivre le groupe ver­bal par le verbe attri­bu­tif hide­kis « être comme » régis­sant l’an­cien com­plé­ment. Ainsi :

  • Agi­benz etë­kos babon hide­kis gian­de­ku.
    • iben-ez etë­ka-os babon hidek-is giandeku
    • enfant-DEF ébor­gner-TR rien comme-ATT chat
    • « L’en­fant n’é­borgne pas de chat », lit­té­ra­le­ment « l’en­fant n’é­borgne rien comme chat »
  • Gido­ho hed­dies gëdi hide­kis gekad­tang­kez.
    • gido­ho hed­di-es gëdi hidek-is gekadtangkaz-ez
    • ver ram­per-MOUV nulle.part comme-ATT fruit.pourri-DEF
    • « Un ver ne rampe pas vers le fruit pour­ri, il n’y a pas de ver qui rampe vers le fruit pour­ri », lit­té­ra­le­ment « un ver ne rampe nulle part comme le fruit pour­ri »

Impératifs

Dans les énon­cés expri­mant l’ordre, on retrouve un pro­cli­tique i- devant le sujet ou le verbe (si le sujet n’est pas pré­sent). Pour expri­mer la pro­hi­bi­tion, il suf­fit de le rem­pla­cer par le pro­cli­tique abe-.

  • I-kied haha­ban­bos dahi­hi.
    • IMP=1.PAUC pié­ti­ner-TR ici
    • « Pié­ti­nons le sol ! »
  • Abe-kied haha­ban­bos dahi­hi.
    • PROH=1.PAUC pié­ti­ner-TR ici
    • « Ne pié­ti­nons pas le sol ! »

Les restruc­tu­ra­tions syn­taxiques tou­chant aux verbes intran­si­tifs, aux objets, n’ont plus lieu d’être dans cette structure.

Ɣu

Phrases déclaratives

La par­ti­cule de néga­tion veos se place immé­dia­te­ment après le verbe conju­gué, sauf si celui-ci est uti­li­sé avec une par­ti­cule adver­biale ; auquel cas la néga­tion vient après la particule.

  • Apnáñi veos nat jápnete.
    • a‑pnañ‑i veos nat jápnet‑e
    • 1SG-savoir-PRS NEG DEM famille-PAT
    • « Je ne connais pas cette famille. »
  • Tapó­mi so veos óskot.
    • ta-pom‑i so veos óskot
    • 3SG-payer-PRS dehors NEG beaucoup
    • « Il ne dépense pas beaucoup. »

Impératifs

Un verbe conju­gué à l’im­pé­ra­tif (pré­fixe tu(h)-) sera nié à l’aide de la par­ti­cule vel. Les verbes modaux ne sont pas employés à l’impératif.

  • Tuz­ploes vel !
    • tu-z-ploes vel
    • IMP-1SG-tou­cher PROH
    • « Ne me touche pas ! »