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Le mar­go­ro (mar­ga Oro « langue du fleuve Oro ») est par­lé le long du fleuve par une nation de plu­sieurs dizaines de mil­lions de per­sonnes, et connaît de fait une mul­ti­tude de dia­lectes. Les formes qui suivent sont valables uni­que­ment pour le dia­lecte de la nou­velle capi­tale, Hanyonɔ (akɔ oro­wa « dia­lecte de l’ad­mi­nis­tra­tion »), quoique la syn­taxe soit sen­si­ble­ment la même au moins dans le dia­lecte de l’an­cienne capi­tale Hanŋi­sa (akɔ Hanŋi­sa) et le dia­lecte du Désert (akɔ Hɛni).

Les formes

Personne et nombre

Les pro­noms encodent deux nombres qui sont le sin­gu­lier (SG) et le plu­riel (PL), et trois per­sonnes : les pre­mières (go/non) qui sont celles du locu­teur ou de son groupe ; les deuxièmes (/) qui sont celles des/de l’interlocuteur(s), et les troi­sièmes qui sont celles dont on parle.

La troi­sième per­sonne est divi­sée encore au sin­gu­lier en ani­mé humain , ani­mé ani­mal (ou construc­tion magique basée sur un être vivant) , et inani­mé ka. Le plu­riel n’est dis­tin­gué que chez humain et ani­mal, qui se par­tagent le pro­nom di.

Temps

Non pas les verbes, mais les pro­noms per­son­nels se conjuguent pour le temps et l’as­pect. Il y a quatre suf­fixes, cer­tains variant en forme après la base :

  • -, -ki, -ko, -, -ka, l’ao­riste, pour les actions pas­sées achevées.
  • -wo, -, le futur d’intention.
  • -yi”, le futur simple.
  • -to, le par­fait, pour les actions ache­vées dont les résul­tats sont encore pré­gnants au moment de l’énonciation.

Sans suf­fixes sur le pro­nom, l’ac­tion décrite par la phrase est consi­dé­rée comme en cours de réa­li­sa­tion ou indéfinie.

Attitudinaux

Deux suf­fixes tra­duisent l’at­ti­tude du locu­teur vis-à-vis du référent :

  • -na, le suf­fixe for­mel (FOR), est employé dans des situa­tions exi­geant un cer­tain niveau de défé­rence vis-à-vis de la personne.
  • -r, le dimi­nu­tif (DIM), est employé dans le lan­gage fami­lier entre amis, pour s’a­dres­ser ou se réfé­rer à des enfants, mais aus­si de façon péjo­ra­tive. La connais­sance du contexte seule per­met de dis­tin­guer ces usages très différents.

Ces suf­fixes peuvent se trou­ver sur les pro­noms de deuxième et troi­sième per­sonnes (sauf inani­mée), après les suf­fixes de temps. Il est pos­sible d’a­voir aus­si le dimi­nu­tif -r sur les pro­noms de pre­mière per­sonne, mais seule­ment dans le contexte où l’on se moque de son inter­lo­cu­teur en sin­geant une obsé­quio­si­té exces­sive, ou bien lorsque le locu­teur a pour pre­mière langue un dia­lecte du désert dans lequel les formes dimi­nu­tives sont les seules employées.

Résumé des formes

1res personnes

Sin­gu­lierPlu­rielSg. dim.
gonongor
Aoristegokonon­gogokor
Inten­tion­nelgowonon­wogowor
Futurgoyi”nonyi”goyir
Par­faitgotonon­dogotor

2es personnes

Sg.Pl.Sg. form.Pl. form.Sg. dim.Pl. dim.
dɛnasɛnadɛrsɛr
Aoristedɛkɛsɛkɛdɛkɛ­nasɛkɛ­nadɛkɛrsɛkɛr
Inten­tion­neldɛwɔsɛwɔdɛwɔ­nasɛwɔ­nadɛwɔrsɛwɔr
Futurdɛyi”sɛyi”dɛyi­nasɛyi­nadɛyirsɛyir
Par­faitdɛtosɛtodɛto­nasɛto­nadɛtorsɛtor

3e personne singulière humaine

NeutreFor­melDimi­nu­tif
mɛnamɛr
Aoristemɛkɛmɛkɛ­namɛkɛr
Inten­tion­nelmɛwɔmɛwɔ­namɛwɔr
Futurmɛyi”mɛyi­namɛyir
Par­faitmɛtomɛto­namɛtor

3e personne singulière animale

NeutreFor­melDimi­nu­tif
rɔnarɔr
Aoristerɔkɔrɔkɔ­narɔkɔr
Inten­tion­nelrɔwɔrɔwɔ­narɔwɔr
Futurrɔyi”rɔyi­narɔyir
Par­faitrɔtorɔto­narɔtor

3e personne inanimée

ka
Aoristekaka
Inten­tion­nelkawɔ
Futurkayi”
Par­faitkato

3e personne animée plurielle

NeutreFor­melDimi­nu­tif
didinadir
Aoristedikidiki­nadikir
Inten­tion­neldiwodiwo­nadiwor
Futurdiyi”diyi­nadiyir
Par­faitditodito­naditor

Les usages

Comme pronoms

Cela paraît évident ; mais il faut bien men­tion­ner quelque part que ces mots rem­placent des noms com­plets (pour les troi­sièmes per­sonnes) et per­mettent de se réfé­rer au par­ti­ci­pants du dis­cours (pre­mières et deuxièmes per­sonnes) comme on le ferait de n’im­porte quel autre nom : sujet ou objet d’un verbe, régime d’une pré­po­si­tion, terme d’a­dresse (pour les deuxièmes personnes).

Comme actualiseurs du verbe

Comme les pro­noms per­son­nels sont la seule caté­go­rie gram­ma­ti­cale à être flé­chie pour le temps, leur pré­sence est obli­ga­toire devant un verbe, même en pré­sence d’un sujet expri­mé par un nom :

  • Rɔnzɛ ga daba kɔnapɛ.
    cha­meau 3.AN.SG faire rapide contre.fleuve
    « Le cha­meau accé­lère le long du fleuve (à contre-courant). »

Le fait qu’ils encodent le nombre pal­lie l’ab­sence de plu­riel dis­tinct chez la plu­part des noms :

  • Hago ho, motir diki lowa gowe an-Oro­wa.
    nuit ce.là tra­duc­teur 3.PL-AOR écrire lettre pour=Bureau
    « Cette nuit-là, les tra­duc­teurs écri­virent une lettre à l’ad­mi­nis­tra­tion fiscale. »

Enfin, ils servent de copule reliant un nom et un nom ou adjec­tif qui le qualifie :

  • Dɛgɔn ditɔpɛ.
    PL-sol­dat 2.PL PL-assas­sin
    « Vous, sol­dats, êtes des assassins. »

Il n’y a que pour les phrases tra­dui­sant un ordre que l’on peut éven­tuel­le­ment se pas­ser de pronom.

  • Ga leki go di siro !
    faire enfant 1.SG 3.PL man­ger
    « Nour­ris mes enfants ! »
    (Plus rare­ment ga leki go di siro !)

Désambigüisation nom/verbe

Leur pré­sence per­met aus­si de choi­sir l’in­ter­pré­ta­tion des mots qui ont la même forme comme nom et comme verbe : dans geri siro emi iti, le mot siro pour­rait signi­fier « man­ger » ou « nour­ri­ture », et emi « vivre » ou « entrailles ». L’am­bigüi­té est levée grâce à la place du pro­nom actualiseur :

  • Geri siro emi iti.
    Chien 3.AN.SG man­ger entrailles parmi.semblables
    « Le chien mange des entrailles par­mi les siens. »
  • Geri siro emi iti.
    Chien nour­ri­ture 3.AN.SG vivre parmi.semblables
    « Le chien qui garde la nour­ri­ture vit par­mi les siens. »

Ou encore, de dis­tin­guer les noms qui ont un sens dif­fé­rent selon qu’ils se réfèrent à un humain ou à un ani­mal : geri peut aus­si signi­fier « gar­dien » humain. Geri siro emi iti « le garde pré­po­sé aux vic­tuailles vit par­mi les siens. »

Comme reprise de la particule relative

La par­ti­cule qui intro­duit les pro­po­si­tions rela­tives n’in­dique pas en soi le rôle gram­ma­ti­cal du nom qu’elle déter­mine. Un pro­nom per­son­nel prend donc la place cor­res­pon­dant au rôle du nom modi­fié par la rela­tive. Un exemple en posi­tion de sujet :

  • Dɛ limɔ­hah sor­ti ki yɛ aton sanzɛ nota ?
    2.SG voir‑Q oiseau ce.ci REL 3.AN.SG avoir patte-DU bleu
    « Vois-tu cet oiseau qui a les (deux) pattes bleues ? »

Et un exemple en posi­tion de régime de préposition :

  • Kanan yɛ go erti ona­ko yɔn-ga.
    toit REL 1.SG poser lit sur=3.IN
    « Le toit sur lequel je pose un lit. » 

Comme déterminants possessifs

Pla­cés après un groupe nomi­nal, les pro­noms per­son­nels expriment la per­sonne du pos­ses­seur. Comme les noms dans la même posi­tion, ils sont sou­mis à la muta­tion conso­nan­tique, où cer­taines consonnes ini­tiales changent si le mot pré­cé­dent se ter­mine par -r, -n ou -” : man ŋo « ma tête », disa­pa” ko « mon trou­peau de mou­tons », yarar « sa (ani­mal) chevrette ».

(Les détails de la muta­tion seront abor­dés dans un pro­chain billet. On aura remar­qué dans un exemple de la sec­tion pré­cé­dente qu’elle appa­raît aus­si après préposition.)

Un petit tour d’ho­ri­zon de la néga­tion du verbe dans trois idéo­langues par­mi celles sur les­quelles j’ai le plus tra­vaillé. Quels sont les paral­lèles que l’on peut observer ?

À chaque fois, j’ai essayé de ne pas faire exac­te­ment comme en fran­çais (ou les autres langues euro­péennes de ma connais­sance). Mais un phé­no­mène res­sort tout de même ici : la néga­tion de l’im­pé­ra­tif est tou­jours dis­tin­guée de celle des phrases déclaratives.

Margoro

Phrases déclaratives

Auxiliaire kɛri

La néga­tion du verbe fait inter­ve­nir un auxi­liaire pla­cé entre le sujet et le verbe, le verbe kɛri dont le sens lit­té­ral est « man­quer de, ne pas avoir ».

  • Go kɛri limɔ dɛ.
    • 1SG man­quer voir 2SG
    • « Je ne te vois pas. »

En rai­son de son sens pre­mier, il rem­place com­plè­te­ment le verbe aton « pos­sé­der, avoir » lorsque celui-ci est nié.

  • Non kɛri diya­ra.
    • 1PL man­quer troupeau.chèvres
    • « Nous n’a­vons pas de chèvres. »

Et en tant que verbe, kɛri peut por­ter des suf­fixes modaux.

  • kɛri­ha” ga ga ?
    • 2PL man­quer-INT faire fait
    • « Est-ce que vous ne l’a­vez pas fait ? »

Verbes négatifs

Cer­tains verbes pos­sèdent un anto­nyme intrin­sè­que­ment néga­tif, par exemple wete « ne pas vou­loir » qui répond à tete « vou­loir ». Il n’ont donc pas besoin de l’auxi­liaire kɛri.

Impératifs

Pour l’ex­pres­sion de la défense, un autre auxi­liaire est employé : we « ne pas faire ». Celui-ci ne s’emploie jamais seul. De plus, comme il ne peut séman­ti­que­ment pas por­ter de suf­fixes modaux (inter­ro­ga­tion, degré de cer­ti­tude), il est à se deman­der s’il s’a­git vrai­ment d’un verbe ou s’il ne serait pas plus simple de le décrire comme une particule.

  • Di we arwa !
    • 3PL PROH venir
    • « Qu’ils ne viennent pas ! »

Les verbes qui ont une contre­par­tie néga­tive emploie celle-ci à l’impératif.

  • Go tete siro !
    • 1SG ne.pas.vouloir manger
    • « Pour­vu que je ne cède pas à la ten­ta­tion de man­ger ! », lit­té­ra­le­ment « que je ne veuille pas manger ! »

Ubaghuns tëhe

Phrases déclaratives

La néga­tion des phrases décla­ra­tives en ubag­huns tëhe consiste à don­ner un objet de sens néga­tif au verbe. Cela crée des com­pli­ca­tions syn­taxiques lorsque le verbe est intran­si­tif et ne peut donc pas régir d’ob­jet nor­ma­le­ment, ou lors­qu’il est tran­si­tif et a déjà un objet exprimé.

Verbes sans objet exprimé

Les deux mots néga­tifs prin­ci­paux sont gëdi « nulle part » et babon « rien/personne ». Le pre­mier vient après les verbes de mou­ve­ment (ter­mi­nai­son -es), le second après les verbes tran­si­tifs (ter­mi­nai­son -os), et les verbes attributifs/locatifs (ter­mi­nai­son -is) peuvent pré­sen­ter les deux.

  • Bëdi bikes gëdi.
    • 1SG voir-MOUV nulle.part
    • « Je ne vois rien » (les verbes de per­cep­tion sont des verbes de mou­ve­ment en ubag­huns tëhe)
  • Gibe gëtan­dos babon.
    • 2SG pleu­rer-TR personne
    • « Tu n’es triste pour personne. »
  • Tan­di kii­dins babon/gëdi.
    • 3SG atta­ché-ATT rien|nulle.part
    • « Il n’est atta­ché à rien/nulle part. »

Les verbes intran­si­tifs sont éga­le­ment nié avec babon, mais comme ils ne peuvent pas avoir d’ob­jet de par leur nature, il faut chan­ger la ter­mi­nai­son ver­bale -i en tran­si­tif -os :

  • Ong­ta dahigi.
    • doigt long-INT
    • « Un doigt est long. »
  • Ong­ta dahigos babon.
    • doigt long-TR rien
    • « Un doigt n’est pas long. »

Verbes avec objet exprimé

Un verbe a au maxi­mum deux argu­ments : le sujet et l’ob­jet, pas plus. Pour faire reve­nir le com­plé­ment éven­tuel rem­pla­cé par gëdi ou babon, il faut employer donc une construc­tion sérielle, c’est à dire faire suivre le groupe ver­bal par le verbe attri­bu­tif hide­kis « être comme » régis­sant l’an­cien com­plé­ment. Ainsi :

  • Agi­benz etë­kos babon hide­kis gian­de­ku.
    • iben-ez etë­ka-os babon hidek-is giandeku
    • enfant-DEF ébor­gner-TR rien comme-ATT chat
    • « L’en­fant n’é­borgne pas de chat », lit­té­ra­le­ment « l’en­fant n’é­borgne rien comme chat »
  • Gido­ho hed­dies gëdi hide­kis gekad­tang­kez.
    • gido­ho hed­di-es gëdi hidek-is gekadtangkaz-ez
    • ver ram­per-MOUV nulle.part comme-ATT fruit.pourri-DEF
    • « Un ver ne rampe pas vers le fruit pour­ri, il n’y a pas de ver qui rampe vers le fruit pour­ri », lit­té­ra­le­ment « un ver ne rampe nulle part comme le fruit pour­ri »

Impératifs

Dans les énon­cés expri­mant l’ordre, on retrouve un pro­cli­tique i- devant le sujet ou le verbe (si le sujet n’est pas pré­sent). Pour expri­mer la pro­hi­bi­tion, il suf­fit de le rem­pla­cer par le pro­cli­tique abe-.

  • I-kied haha­ban­bos dahi­hi.
    • IMP=1.PAUC pié­ti­ner-TR ici
    • « Pié­ti­nons le sol ! »
  • Abe-kied haha­ban­bos dahi­hi.
    • PROH=1.PAUC pié­ti­ner-TR ici
    • « Ne pié­ti­nons pas le sol ! »

Les restruc­tu­ra­tions syn­taxiques tou­chant aux verbes intran­si­tifs, aux objets, n’ont plus lieu d’être dans cette structure.

Ɣu

Phrases déclaratives

La par­ti­cule de néga­tion veos se place immé­dia­te­ment après le verbe conju­gué, sauf si celui-ci est uti­li­sé avec une par­ti­cule adver­biale ; auquel cas la néga­tion vient après la particule.

  • Apnáñi veos nat jápnete.
    • a‑pnañ‑i veos nat jápnet‑e
    • 1SG-savoir-PRS NEG DEM famille-PAT
    • « Je ne connais pas cette famille. »
  • Tapó­mi so veos óskot.
    • ta-pom‑i so veos óskot
    • 3SG-payer-PRS dehors NEG beaucoup
    • « Il ne dépense pas beaucoup. »

Impératifs

Un verbe conju­gué à l’im­pé­ra­tif (pré­fixe tu(h)-) sera nié à l’aide de la par­ti­cule vel. Les verbes modaux ne sont pas employés à l’impératif.

  • Tuz­ploes vel !
    • tu-z-ploes vel
    • IMP-1SG-tou­cher PROH
    • « Ne me touche pas ! »