L’ubaghuns tëhe est une langue à la phonologie minimale : six consonnes /p t k h tʰ kʰ/, six voyelles orales /a e i o u ɤ /, six voyelles nasales /ã ẽ ĩ õ ũ ɤ̃/. L’accent tonique touche toujours la dernière syllabe du mot et n’est donc pas distinctif. Cependant, il est un aspect de la prosodie qui permettrait d’opposer deux formes autrement identiques : les variations de hauteur au fil des syllabes, ou mélodie tonale.
Valeurs formelles des tons
Ce ne sont pas des hauteurs absolues correspondant à des notes de musique, mais des hauteurs relatives les unes aux autres, sur une échelle divisée en cinq :
- Le ton non marqué dit « moyen » et abrégé M est celui duquel on part pour réaliser les deux autres ; il se situe sur le troisième barreau de l’échelle
- Le ton haut abrégé H est d’un cran (au moins) plus haut que le ton moyen
- Le ton bas abrégé L est d’un cran (au moins) plus bas que le ton moyen.
Ces hauteurs tonales ne se combinent pas librement dans un mot ; il y a exactement trois possibilités, réalisées sur les deux ou trois dernières syllabes. Toutes les syllabes qui se retrouvent en-dehors de la mélodie sont M par défaut.
- Le schéma neutre consiste en un ton haut sur la dernière syllabe et un ton bas sur l’avant-dernière. Exemples : dëhed /tɤ̀hét/ « pointe de flèche » ; enhade /ẽhàté/ « plume » ; kadob /kʰàtóp/ « coude ».
- Le schéma ‑s consiste en un ton haut sur la dernière syllabe. Il est noté dans la transcription par un -s. Exemples :
- Le schéma ‑z consiste en deux tons hauts sur les deux dernières syllabes, précédés d’un ton bas. Il est noté dans la transcription par un -z final. Exemples : ubaghunz /ùpákhṹ/ « langue » ; ihedditoz /ihèttítʰó/ « chemin parcouru en rampant ».
Formes sans schéma inhérent
Les mots grammaticaux qui s’attachent au mot suivant (proclitiques) n’ont pas de mélodie indépendante et se réalisent donc au ton moyen, sauf si le schéma ‑z déborde à gauche.
Syllabe d’appui au schéma ‑z
Le schéma ‑z nécessite trois syllabes, or il est des cas où il doit se réaliser sur un mot dissyllabique : heton « village » plus le suffixe démonstratif -ez, avec la règle qui veut que la première des voyelles en contact s’élide (et lègue sa nasalité à la suivante), devrait donner *hetenz /hétʰẽ́/ mais aucune syllabe n’est là pour porter le ton bas. On répare en préfixant a(g)- : ahetenz /àhétʰẽ́/ « ce village ». Elle est inutile en présence d’un proclitique : kinkin-hetenz /kʰĩkʰĩ̀hétʰẽ́/ « Surprenant, ce village… »
Valeur sémantique des tons
Le schéma neutre est le schéma par défaut. Les autres apparaissent durant les opérations grammaticales et la dérivation lexicale .
Le schéma ‑s
Un ensemble de deux mots (ou plus) où le deuxième terme est dans une relation de complémentation avec le premier se comporte comme une unité syntaxique où les participants ne sont plus indépendants, signalée acoustiquement par la suppression de tous les tons marqués du schéma du premier terme, sauf le H de la dernière syllabe.
Structures nominales
Pour les noms, c’est le cas des structures possessives. Exemple : les noms indépendants kadadin (MLH) « tête » et giangig (MLH) « écureuil » donneront kadadins giangig (MMH MLH) « la tête de l’écureuil » ; uabboduz (MLHH) « mélodie » et toto (LH) « pluie » feront uabbodus toto (MMMH LH) « le fredonnement de la pluie ». Avec le schéma neutre, deux noms côte-à-côte seraient dans une simple relation d’apposition : tebid eged « peau qui est jeune, peau jeune » ≠ tebids eged « peau du‧de la jeune ».
Un schéma ‑s est également assigné aux classificateurs, ces mots qui se placent entre un nombre et le nom compté et donnent des indications sur la forme de ce dernier : bin-bagdes iben « deux enfants », de-kuobs igedtonz « une oreille coupée ». Lorsque les classificateurs sont employés seuls, ils ont le schéma neutre : bin-bagde « deux êtres debout », de-kuob « une chose flasque ».
Verbes
La plupart des verbes – sauf les verbes intransitifs – forment une unité syntaxique avec leur objet (qui est obligatoire), et présentent donc le schéma ‑s par défaut.
- Verbes transitifs : atabos « vouloir, désirer », dinkos « consommer », kiëkios « sécher »
- Verbes de mouvement : dangdanges « sautiller vers », bikes « voir (diriger son regard vers) « , babiges « quitter, sortir de »
- Verbes locatifs : kiidins « être attaché à », tabis « être assis sur », hidekis « être comme »
Le schéma ‑z
Le schéma ‑z est associé à la présence de suffixes sur un nom.
Suffixes dérivationnels
La conversion des verbes en noms se fait exclusivement à l’aide de suffixes ou de circonfixes (préfixe + suffixe). Exemples : baghin « parler » > ubaghunz « langue », gëtandos « pleurer pour la mort de » > higëtandhez « défunt‧e récent‧e », aghis « être temporairement à » > uaghadz « abri ».
Suffixes flexionnels
Les suffixes d’information grammaticale sur le nom sont le singulatif -kiz (« un‧e seul‧e »), le démonstratif -ez, le suffixe d’aliénation -tonz (pour les parties du corps qui n’y sont plus attachées) et les suffixes possessifs pronominaux (comme -tugz « ton, ta, tes ; votre, vos »).
Il peuvent se cumuler, par exemple : ongtatigtënkez (MMLHH) « celui-ci de tes doigts coupés en particulier », qui se décompose en ongta-tugz-tonz-kiz-ez moyennant quelques adaptations phonétiques qui feront l’objet d’un futur billet.
Dans les coulisses
Pendant longtemps, ma conception du ton était celle d’un système à la chinoise (et des langues du sud-est asiatique en général), où chaque syllabe supportait un contour tonal qui pouvait être montant, descendant, haut, bas, moyen, etc. J’avais entendu parler des système dits « à accent de hauteur » (suédois et japonais), où le mot recevait une mélodie relative à l’accent tonique, mais sans vraiment le comprendre ou l’employer dans mes créations.
Puis il y a un an, un article est paru sur Fiat Lingua : « Tones for Conlangers : A Basic Introduction » par Aidan Aannestad, expliquant de façon claire et avec force exemples comment concevoir le fonctionnement du ton, en tant que phénomène prosodique indépendant de la forme phonétique d’un mot, comment il interagit avec d’autres segments, et comment il peut évoluer historiquement dans une langue.
J’ai été tellement marqué que depuis, la moitié de mes idées concerne des idéolangues à tons, et j’ai même refondu la plus ancienne dans un moule tonal pour lui redonner un nouveau souffle. Je pense, comme Aidan Aannestad, qu’il n’y a pas assez de langues construites de ce type. Avis aux amateurs !