Voici une exemple de greedien ancien en contexte. Il s’agit d’une lettre écrite par un chef de clan au noble local, en appelant à son intervention sur une question de droits de pêche.
Le style peut paraître direct et familier, mais les Greediens ne pensent pas qu’user de circonvolutions pour formuler des requêtes indirectes soit une marque de politesse, même envers des supérieurs. Le plan de la lettre est le suivant :
1 : provenance et destination
2 : compliment en lien avec la requête
3 – 6 : présentation du problème
7 – 8 : résumé des relations entre les parties concernées
Au 26ᵉ jour de Lexembre 2019, concernant le greedien ancien, nous avions vu le mot sóga « clan, famille », un élément extrêmement important de la vie greedienne. Aujourd’hui, nous allons examiner plus en détail comment parler des personnes qui le composent.
Avant toutes choses, quelques explications préalables sur la société greedienne à l’époque où l’on parlait cette langue au quotidien, voici plus de deux mille ans. Depuis, bien des choses ont pu changer.
La société
Les Greediens vivent dans une société hiérarchisée. À son sommet se trouve le roi – ou la reine – (thílim), qui tire sa légitimité de la déesse-mère Aléraze (Alueráz). Le souverain crée et contrôle divers nobles régionaux (emïl) qui gouvernent leurs territoires en accord avec la politique de la Tour (Tál). Ceux-ci à leur tour doivent composer avec les clans patriarchaux qui possèdent la terre (et les droits de pêche dans un contexte littoral).
Un clan est dirigé par un homme dans la force de l’âge qui est le descendant en ligne paternelle directe d’un précédent chef de clan (qui n’est pas forcément son prédécesseur direct : un neveu peut succéder à son oncle, en tant que petit-fils du père de ce dernier). Une femme peut diriger un clan dans certaines circonstances mais ses enfants ne seront pas considérés comme descendants directs et seront donc exclus de la succession. En effet, les femmes quittent leur clan d’origine lorsqu’elles se marient ; durant leur veuvage, ou après un divorce, elles peuvent choisir de revenir dans leur famille, mais leurs enfants appartiendront toujours au clan de leur père.
La lignée paternelle est de fait la plus importante, et c’est pour cela que plus de distinctions sont faites lexicalement entre ses membres, comparé à la lignée maternelle.
Noms de parenté consanguine
Voici un diagramme des relations familiales consanguines idéales pour un homme marié (Ego) :
L’épouse, sooni (sens premier « femme »), appellera son mari gazeem (sens premier « homme »).
Notons que dans ce diagramme précis, le grand-père est toujours vivant et il est le chef du clan. Si le père, un oncle, un cousin ou un frère est chef de clan, on le nommera également óbab. De même, si la situation est telle que la mère, une cousine ou une sœur est cheffe de clan, elle sera ónan.
Les membres féminins du clan qui ne sont pas mariées, de la même génération ou celle qui suit, en ligne indirect, sont nuon. Une fois sorties du clan, elles deviennent diom et on appellera leurs époux dárak. Pareillement, la (grande-)tante célibataire est ónuon, comme la femme de l’oncle, mais une fois mariée elle sortira des relations de parenté.
Termes d’adresse
Quelques-uns de ces noms ont une forme spéciale lorsque le locuteur ou la locutrice parle à leurs référents. Il s’agit – à une exception près – de suffixer au mot la dernière voyelle de la racine au ton haut, en éliminant les autres tons haut déjà présents. Cela concerne :
bab > babá « père, papa »
óbab > obabá « grand-père (paternel), grand-papa » ou « chef du clan »
nan > naná « mère, maman »
ónan > onaná « grand-mère (paternelle), grand-maman » ou « cheffe du clan »
kuis > kuisí « frère, cousin » ou « neveu »
nuon > nuonó « sœur, cousine »
ónuon > onuonó « tante (paternelle célibataire), tata, tatie) » ou « tante (femme de l’oncle paternel), tata, tatie »
uluz > babá « oncle (paternel), tonton »
Certains de ces termes d’adresse sont aussi employés à l’encontre de membres du clan situés en-dehors du tableau ci-dessus (petits-cousins, etc.). Il s’agit de babá et onuonó, respectivement pour un homme plus âgé et une femme plus âgée. Ceux de la même génération sont interpelés avec kuisí et nuonó. Les générations postérieures sont simplement appelées deemo « enfant ».
Parents décédés
Il y a encore quatre termes de parenté spécifiques pour parler de membres décédés du clan, ne distinguant que le sexe et la génération par rapport à celle du locuteur ou de la locutrice :
babasia « membre masculin d’une des générations antérieures, décédé »
nanasia « membre féminin d’une des générations antérieures, décédé »
kuisisia « membre masculin de la même génération, décédé »
nuonosia « membre féminin de la même génération, décédé »
Il n’y a pas de termes spécifiques pour parler de la génération suivante : enfants, petits-enfants, neveux, etc. qui sont morts avant le locuteur.
Noms dans la belle-famille
Famille du mari
Pour une femme qui vient de rentrer dans un nouveau clan par un mariage, les termes sont les mêmes que ceux pour sa famille d’origine. Elle appellera son beau-père babá, sa belle-sœur nuonó, le cousin de son mari kuisí, etc.
En ce qui concerne son ancien clan, elle utilisera les mêmes termes d’adresse s’ils existent (babá, naná, etc.), mais pour parler de ses membres à la troisième personne elle devra employer les noms avec l’adjectif masia « passé, lointain » : masia bab « mon père », masia ónan « ma grand-mère », etc.
Famille de l’épouse
Un homme qui a pris épouse emploiera les mêmes termes pour parler de sa belle-famille que pour parler de la famille de sa mère, avec un décalage générationnel vers le bas : le beau-père est pozeläng comme le grand-père maternel, la belle-sœur nasnan comme la tante, etc . De plus, il n’y a pas de mots spécifiques pour désigner la génération des enfants (on parlera de nangkuis kor « fils du beau-frère » par exemple).
Ce sera la même terminologie pour la belle-famille de ses frères et de ses cousins mâles du côté paternel.
Famille du beau-frère/beau-fils
Il n’existe qu’un seul terme pour tous les membres de la famille du mari de sa sœur (ou fille, ou cousine, etc.) avec laquelle on n’entretient ni de relation de sang, ni de relation d’alliance. Il s’agit de thórrï « allié », qui étymologiquement signifie « bâton de marche ».
Étymologies
Certains des mots vus ici sont décomposables morphologiquement :
dárakïl : de dárak « beau-frère, beau-fils » avec le suffixe -ïl (diminutif, descendant)
nagnan : de nan « mère » avec la réduplication CVg- (augmentatif)
nangkuis : composé de nan « mère » et kuis « frère, cousin », avec assimilation de la dernière consonne du premier mot
nasnan : de nan « mère » avec la réduplication CVs- (diminutif)
pozeläng : de poze « vieux » avec le suffixe -läng (nominalisateur)
údomläng : de budôm « ventre ; utérus » avec le suffixe -läng (objet ou personne associée)
uguluz : de uluz « oncle paternel » avec la réduplication CVg- (augmentatif)
Il y a un peu plus d’un an, j’ai gagné mon premier client au travers du LCS Jobs Board –un service de la Language Creation Society pour mettre en contact les créateurs de langues et quiconque recherche leurs services.
Sans dévoiler la nature du projet et les éléments de l’univers où il prend place, je peux présenter la langue et son alphabet au travers d’un texte d’exemple de mon invention, pour donner une idée concrète de ce qu’implique insérer une langue dans un projet artistique.
« Est-ce que l’ours noir et l’ours blanc sont partis vers les montagnes de l’ouest ? Je veux leur parler, car ils ont mangé beaucoup trop de mes vaches. Elles vont beaucoup moins bien maintenant ! »
Analyse
Trý est la forme longue de tur « noir ». Grammaticalement, c’est un verbe et la forme longue est toujours employée dans les propositions relatives, comme ici : « l’ours (qui est) noir ».
Sáþi est le mot pour « ours ». Il n’y a pas d’articles définis ou indéfinis.
Fill est la forme longue de fill « blanc ». Pourquoi sont-elles identiques ? Le passage à la forme longue, en gros, implique des modifications vocaliques qui sont bloquées ici par la double consonne finale.
Sáþí est le mot « ours » avec une conjonction suffixée -i « et » qui modifie une voyelle finale. Dans l’orthographe, ce suffixe a une forme distincte, comme si l’on écrivait <saþi&>.
Rilppísog est employé comme un adjectif « occidental », mais est en réalité le génitif du nom rilppís « ouest », littéralement : « de l’ouest ».
Zorka est le pluriel de zor « montagne ». Il y a différents suffixes de pluriel selon la classe sémantique du nom ; ici c’est le -ka générique des noms inanimés, mais en y réfléchissant le -lib des inanimés rencontrés habituellement en grande quantité eût été bien plus adapté ; hélas, j’ai déjà envoyé le dictionnaire au commanditaire, plus de modifications possibles.
Grí est une postposition signifiant « vers ». Une postposition remplit le même rôle qu’une préposition, mais derrière le nom plutôt que devant, comme son nom l’indique.
Besk est la forme synthétique de passé de bes « aller ». Normalement le passé est une forme analytique, obtenue à l’aide d’un auxiliaire, mais quelques verbes très courants ont gardé une forme simple, en poésie ou dans le langage archaïque.
Bý signifie normalement « quoi ? », employé en fin de phrase il transforme ce qui précède en question.
Þærd est le pronom sujet « je ». Difficile d’en dire plus sans écrire un billet entier sur les pronoms personnels, leurs formes et leurs emplois…
Urt est la forme courte du verbe « parler » ; sa forme longue est rýt. Le choix de la forme courte est conditionné par l’usage en tant que complément du verbe qui va suivre.
Arþ est la forme objet du pronom de troisième personne pluriel karþ. Seuls les pronoms singuliers de troisième et quatrième (j’y viens) personne ont une forme oblique (« lui ») dédiée, ici la même forme sert pour « les » et « leur ».
Ritt est la forme courte du verbe « vouloir ». Vous remarquerez ici la position du pronom objet, entre « vouloir » et « parler », comme en français ; il aurait été possible de placer le pronom après ritt, déclenchant une interprétation de ce dernier comme auxiliaire du futur. S’il n’y avait pas de pronom objet, la phrase pourrait signifier aussi bien « je veux parler » que « je parlerai ».
Karþsva, le pronom karþ vu plus haut suffixé avec une conjonction -sva « parce que, car ». Lorsque ce sont deux phrases qui sont conjointes, plutôt que deux noms, les conjonctions suffixées se placent sur le premier mot de la phrase (plus exactement au dernier mot du premier syntagme, qui peut être un nom seul, ou précédé d’un adjectif, génitif, etc.)
Træ est le déterminant « plusieurs, de nombreux ».
Dod se traduit par le déterminant « mon, ma, mes », et se décompose en un élément do (sans réelle traduction) et la forme suffixale du pronom de première personne singulier -d. Dans l’écriture, ce mot est écrit avec un seul glyphe spécialisé.
Frúzeþ est le pluriel de frúz « vache ». Le suffixe -(e)þ est réservé aux êtres animés.
Gvaksjækk se décompose en gvag-, un préverbe avec le sens d’« exagérer », et sjækk, encore un passé irrégulier, cette fois-ci pour le verbe sepp « manger ». La modification de la base s’explique par un état antérieur de la langue où la forme était *sepki, changeant ensuite régulièrement en : *sekki > *sekk > sjækk.
Ged est un adverbe de temps « maintenant ». Il serait normalement placé dans la phrase à la suite du sujet (pronom ou nom), mais la position initiale en fait le thème de la phrase, l’élément pivot qui contraste avec la situation précédente.
Galþ est le pronom sujet de quatrième personne pluriel… qu’est-ce qu’une quatrième personne ? Lorsqu’une troisième personne est déjà présente dans le discours, comme ici karþ désignant les deux ours, la quatrième personne permet d’introduire un nouveau référent ; ici galþ reprend frúzeþ « les vaches », qui était l’objet du verbe précédent.
Óbauk est un verbe/adjectif bauk « bon, se sentir bien » préfixé de la négation ó-. Le verbe est à la forme courte, qui ne peut être employée seule que dans les impératifs, les conditionnelles et, comme ici, les statifs ; un verbe dynamique comme sepp « manger » aurait dû être à la forme longue (síp) pour avoir un sens de présent.
Buts esthétiques
On m’avait demandé de tirer des inspirations esthétiques du vieux-norrois et des langues slaves. Le résultat, à mon avis, est plus proche du premier que du deuxième, en tout cas pour le son ; une autre particularité qui m’a été suggérée est l’absence de consonnes nasales (m n) due, dans la diégèse, à la volonté de se distinguer d’un autre peuple, méprisé, qui lui les emploie à foison dans sa langue (nommée de façon fort appropriée mymlurs).
Le système d’écriture du hlasturs, dit kalgl, est un alphabet, écrit de haut en bas puis de droite à gauche. Quelques distinctions ne sont pas faites, comme l’opposition entre voyelles longues (á é í ó ú ý) et brèves (a e i o u y), et quelques mots ou morphèmes grammaticaux ont une représentation logographique, comme -i et dod.
Conclusion
Mes seules obligations touchaient à l’aspect phonétique et orthographique de la langue. J’étais totalement libre pour la grammaire. J’aurais pu conjuguer tous les verbes régulièrement (un suffixe de passé, un suffixe de futur), faire varier les pronoms en genre au lieu de l’obviation, utiliser un ordre sujet-verbe-objet, avoir un seul suffixe de pluriel… la plupart des lecteurs/spectateurs auraient-ils remarqué une différence ? Probablement que non ; seuls les passionnés de langues y auraient trouvé à redire. Mais c’est justement parce que j’en suis un que j’ai tenu à donner une profondeur à cette idéolangue : à choisir entre le dovahzul du jeu vidéo Skyrim, qui ne diffère que superficiellement de l’anglais (bases verbales utilisables comme noms, suffixe de génitif, infinitif du verbe formé avec une préposition), et le tsolyáni du jeu de rôle Empire of the Petale Throne qui distingue six formes du pronom « je » selon le rang social, des préfixes d’attitude personnelle sur les noms et ne fait pas de distinction entre nombres cardinaux (« deux ») et ordinaux (« deuxième »)… je parlerais bien plus volontiers de ce dernier à des néophytes, quand bien même il est plus probable qu’ils aient entendu parler du premier.
talak- /ˈtalak/ v.int « ressembler à X, agir comme X »
Ce préfixe crée des verbes intransitifs à partir de noms d’humains et d’animaux, plus rarement d’objets naturels. Il est particulièrement productif pour désigner des défauts.
Le -l final du préfixe supprime les consonnes initiales de la racine ; si l’une d’entre elle est une vélaire (k g ṅ), le préfixe a la forme tał-. Seule la consonne v n’est pas concernée et peut apparaître après le -l et le -ł.
Sur un verbe de mouvement, ce suffixe ajoute l’idée de « sortir de », « quitter », un mouvement qui s’éloigne du locuteur ou du point de référence.
Comme je n’ai toujours pas de racines de verbes de mouvement, passons tout de suite au sens qu’il donne aux autres verbes : cesser de faire une action en cours de route, défaire le résultat de l’action. La différence avec le suffixe -bis, qui peut également signaler une action non menée à son terme, est que l’arrêt du processus est volontaire dans le cas de -il.