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gô-kmâ /goːˈkmaː/, nom

  • espadrille(s), chaussure(s) en corde

Aujourd’­hui, le com­po­sé est écrit en un seul mot, pour signi­fier que ses élé­ments sont insé­pa­rables et que le second est accen­tué. Il est for­mé de :

  • « deux », antique *gor
  • kmâ « corde, tresse », nomi­na­li­sa­tion du verbe « tres­ser une matière gros­sière », antique *kamar

Il s’a­git d’un com­po­sé numé­ral, qui désigne le plus sou­vent une paire de chaus­sures qu’une seule d’entre elles, bien que le contexte per­mette aus­si d’in­ter­pré­ter comme un seul membre de la paire.

mupp pnayg /mŭp pnaɪ̯g/, nom

  1. coquille méta­lique cou­vrant les orteils
  2. chaussure/botte ren­for­cée avec du métal pour la mani­pu­la­tion d’ob­jets lourds

Ce com­po­sé, comme celui d’hier, est écrit en deux mots, pour mon­trer qu’il est pos­sible d’o­mettre le second si le contexte est clair. Les élé­ments sont :

  • mupp « sabot d’un ani­mal ou d’un Gobe­lin », antique *mup
  • pnayg « Nain, per­sonne », antique *pinaŋ

Encore une fois, pas de pré­po­si­tion pour intro­duire le com­plé­ment nomi­nal, puisque la tête du syn­tagme est une par­tie du corps.

kngeb t’wêo /kŋeb tʼwɤː/, nom

  1. gra­dua­tion au sol
  2. talon de la chaussure

Syn­tagme nomi­nal com­po­sé de :

  • kngeb « marque, poin­çon », nomi­na­li­sa­tion du verbe « mar­quer », antique *kaŋim « faire compter »
  • t’wêo « pas ; degré », antique *tibor, un emprunt au dra­co­nique ʇpamr « arrêts pré­dé­fi­nis le long d’un mouvement »

Bien que nor­ma­le­ment les noms s’as­semblent au moyen de pré­po­si­tions, ce n’est pas le cas ici. Ce qu’on pour­rait expli­quer par le fait qu’il s’a­git d’une rela­tion de « paren­té » méta­pho­rique, le mar­quage étant ce qui donne nais­sance au pas, en tout cas ce qui per­met de le constater.Les com­plé­ments dési­gnant une rela­tion très proche s’ap­posent sim­ple­ment dans cette langue.


Cette année, pour le lexembre, je vais pré­sen­ter des mots en dri mreatt, langue de civi­li­sa­tion par­lée dans les mon­tagnes d’Ambre, c’est-à-dire dans le même uni­vers que le dra­co­nique (Mis­per de @bastienbassani).
Afin de chan­ger un peu de mode opé­ra­toire, je vais me tenir à un thème unique tout le long du mois, choi­si au hasard : la chaussure.

Du 3 au 5 juillet der­nier, j’étais à Orléans pour la seconde Inter­na­tio­nal Confe­rence on Construc­ted Lan­guages (icon2024).
L’opportunité avait été offerte à des créa­teu­rices de langue de pré­sen­ter un « élé­ment inté­res­sant » de leur créa­tion dans une ses­sion spé­ciale pos­ters, à côté des inter­ven­tions plus clas­sique des chercheur·ses.
Voi­ci ce que j’ai fait affi­cher : Rôles des par­ties du dis­cours en langue dra­co­nique.
Il s’agit d’une intro­duc­tion rela­ti­ve­ment exhaus­tive aux points les plus impor­tants de la langue.
Quelques per­sonnes m’ont deman­dé s’il y avait plus d’information dis­po­nible sur mon site.
Main­te­nant, oui.

Où, qui, pourquoi ?

J’ai déve­lop­pé cette langue (par­mi d’autres) pour le pro­jet Mis­per de Bas­tien Bas­sa­ni, un uni­vers de jeu de rôle fan­tas­tique en cours d’élaboration.
On peut voir sur sa page Ins­ta­gram (@bastien.bassani) cer­taines cartes de son cru, avec des topo­nymes de mon inven­tion en diverses langues.
Par­mi eux, les Griffes de Pes­sou­za sont la trans­crip­tion un peu plus pro­non­çable d’un terme dra­co­nique pʇw­sa « convexe et irré­gu­lier, pro­duit d’un déran­ge­ment » ; autre­ment dit, une chaîne de montagnes.

Il s’agit d’un sys­tème de com­mu­ni­ca­tion employé par des créa­tures pri­mor­diales dites « dra­gons », mais qui peuvent revê­tir des aspects très dif­fé­rents : non seule­ment ani­mal, mais éga­le­ment végé­tal ou minéral.
Les peuples huma­noïdes l’emploient éga­le­ment pour la mani­pu­la­tion de la magie, rôle auquel la langue se prête par­ti­cu­liè­re­ment bien, pour plu­sieurs raisons.

Éléments de base

Sept élé­ments, cor­res­pon­dant cha­cun à un élé­ment pri­mor­dial de cet uni­vers, servent de briques pour la for­ma­tion des mots.
Leur repré­sen­ta­tion pho­nique est la plus employée chez les huma­noïdes, mais ils peuvent être tra­duits par des signaux lumi­neux, des pas de danse, des fis­sures dans la roche, etc.
Ainsi :

  • w est carac­té­ri­sé par le seul fait de s’opposer au silence / à l’absence de signal, il n’a pas d’autre trait distinctif.

  • p est une explo­sion, c’est-à-dire que le signal com­mence de façon abrupte et va en s’estompant. Ren­du pho­né­ti­que­ment par une consonne occlusive.

  • ʇ est une implo­sion, qui com­mence dou­ce­ment puis s’interrompt abrup­te­ment. Ren­du pho­né­ti­que­ment par une consonne implo­sive ou un clic.

  • a est long et conti­nu, de timbre plus clair que /m/, et on le ren­dra par n’importe quelle voyelle.

  • r est tur­bu­lent, avec des varia­tions cycliques de fré­quence, de timbre plus clair que /s/, et on le pro­nonce géné­ra­le­ment comme un /r/ roulé.

  • m est long et conti­nu, de timbre plus sombre que /a/ ; pho­né­ti­que­ment, c’est le cas des consonnes nasales.

  • s est tur­bu­lent, avec des varia­tions chao­tiques de fré­quence, de timbre plus sombre que /r/ ; pho­né­ti­que­ment, cela cor­res­pond aux consonnes fricatives.

Ces briques sont ensuite assem­blées, sans jamais se répé­ter au sein d’un même mot, la lon­gueur du mot déter­mi­nant sa classe (modal, pré­di­cat, déic­tique, nom).
Ceci limite le nombre total de mots dans la langue à 2779.

Un mot ne laisse pas devi­ner sa signi­fi­ca­tion d’après les élé­ments qui le com­pose, comme le ferait une langue phi­lo­so­phique à la John Wil­kins.
Leur forme est tout à fait aléa­toire : le déic­tique pam « je per­çois col­lé sous moi » et ʇsw « je per­çois déta­ché en-des­sous de moi » n’ont aucun élé­ment en com­mun, bien que leurs signi­fi­ca­tions res­pec­tives ne dif­fèrent que par un seul trait (contact phy­sique direct ou indirect).

Angles déictiques

Il y a sept direc­tions enco­dables par le déic­tique, mais leur signi­fi­ca­tion est contex­tuelle et rela­tive à la nature de la créa­ture qui s’exprime.
Ainsi :

Abré­via­tion Nom Remarque
 A

avant

La direc­tion du regard pour un ani­mal, celle de la crois­sance hori­zon­tale pour une plante, celle du pôle nord magné­tique pour un minéral

 B

bas

La direc­tion de la gravité

 C

centre

conte­nu dans le locu­teur, ou le locu­teur lui-même

 D

droite

Le côté droit chez un ani­mal, le sens horaire de la crois­sance en lar­geur chez un végé­tal, l’Est pour un minéral

 G

gauche

Le côté gauche chez l’animal, le sens anti-horaire de la crois­sance en lar­geur chez un végé­tal, l’Ouest pour un minéral

 H

haut

La direc­tion oppo­sée à la gravité

 R

arrière

La direc­tion oppo­sée à celle du regard ou de la crois­sance hori­zon­tale, ou le pôle sud

Exemple de phrase

Voi­ci une for­mule magique employée par le peuple Nacré pour aug­men­ter la durée de l’hiver.
Elle est pro­non­cée sur un bateau, en face de la région à affec­ter, pen­dant un jour froid.
Il faut par­ler fort et avoir l’horizon dégagé.

Comme il s’agit d’une pro­messe, la per­sonne qui la pro­nonce doit conti­nuer de four­nir l’énergie néces­saire à sa réa­li­sa­tion pen­dant toute la durée du sort.
Cela limite son uti­li­sa­tion aux créa­tures les plus puis­santes, néan­moins cet « hiver de la Nef » est connu et craint par tous les peuples du continent.

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Il y a un peu plus d’un an, j’ai gagné mon pre­mier client au tra­vers du LCS Jobs Board –un ser­vice de la Lan­guage Crea­tion Socie­ty pour mettre en contact les créa­teurs de langues et qui­conque recherche leurs services.

Sans dévoi­ler la nature du pro­jet et les élé­ments de l’u­ni­vers où il prend place, je peux pré­sen­ter la langue et son alpha­bet au tra­vers d’un texte d’exemple de mon inven­tion, pour don­ner une idée concrète de ce qu’im­plique insé­rer une langue dans un pro­jet artistique.

Le texte

Trý sáþi fill sáþí rilppí­sog zor­ka grí besk bý ? Þærd urt arþ ritt, karþs­va træ dod frú­zeþ gvaks­jækk. Ged galþ óbauk !

Texte hlas­turs en kalgl

Écou­tez !

« Est-ce que l’ours noir et l’ours blanc sont par­tis vers les mon­tagnes de l’ouest ? Je veux leur par­ler, car ils ont man­gé beau­coup trop de mes vaches. Elles vont beau­coup moins bien maintenant ! »

Analyse

Trý est la forme longue de tur « noir ». Gram­ma­ti­ca­le­ment, c’est un verbe et la forme longue est tou­jours employée dans les pro­po­si­tions rela­tives, comme ici : « l’ours (qui est) noir ».

Sáþi est le mot pour « ours ». Il n’y a pas d’ar­ticles défi­nis ou indéfinis.

Fill est la forme longue de fill « blanc ». Pour­quoi sont-elles iden­tiques ? Le pas­sage à la forme longue, en gros, implique des modi­fi­ca­tions voca­liques qui sont blo­quées ici par la double consonne finale.

Sáþí est le mot « ours » avec une conjonc­tion suf­fixée -i « et » qui modi­fie une voyelle finale. Dans l’or­tho­graphe, ce suf­fixe a une forme dis­tincte, comme si l’on écri­vait <saþi&>.

Rilppí­sog est employé comme un adjec­tif « occi­den­tal », mais est en réa­li­té le géni­tif du nom rilppís « ouest », lit­té­ra­le­ment : « de l’ouest ».

Zor­ka est le plu­riel de zor « mon­tagne ». Il y a dif­fé­rents suf­fixes de plu­riel selon la classe séman­tique du nom ; ici c’est le -ka géné­rique des noms inani­més, mais en y réflé­chis­sant le -lib des inani­més ren­con­trés habi­tuel­le­ment en grande quan­ti­té eût été bien plus adap­té ; hélas, j’ai déjà envoyé le dic­tion­naire au com­man­di­taire, plus de modi­fi­ca­tions possibles.

Grí est une post­po­si­tion signi­fiant « vers ». Une post­po­si­tion rem­plit le même rôle qu’une pré­po­si­tion, mais der­rière le nom plu­tôt que devant, comme son nom l’indique.

Besk est la forme syn­thé­tique de pas­sé de bes « aller ». Nor­ma­le­ment le pas­sé est une forme ana­ly­tique, obte­nue à l’aide d’un auxi­liaire, mais quelques verbes très cou­rants ont gar­dé une forme simple, en poé­sie ou dans le lan­gage archaïque.

signi­fie nor­ma­le­ment « quoi ? », employé en fin de phrase il trans­forme ce qui pré­cède en question.

Þærd est le pro­nom sujet « je ». Dif­fi­cile d’en dire plus sans écrire un billet entier sur les pro­noms per­son­nels, leurs formes et leurs emplois…

Urt est la forme courte du verbe « par­ler » ; sa forme longue est rýt. Le choix de la forme courte est condi­tion­né par l’u­sage en tant que com­plé­ment du verbe qui va suivre.

Arþ est la forme objet du pro­nom de troi­sième per­sonne plu­riel karþ. Seuls les pro­noms sin­gu­liers de troi­sième et qua­trième (j’y viens) per­sonne ont une forme oblique (« lui ») dédiée, ici la même forme sert pour « les » et « leur ».

Ritt est la forme courte du verbe « vou­loir ». Vous remar­que­rez ici la posi­tion du pro­nom objet, entre « vou­loir » et « par­ler », comme en fran­çais ; il aurait été pos­sible de pla­cer le pro­nom après ritt, déclen­chant une inter­pré­ta­tion de ce der­nier comme auxi­liaire du futur. S’il n’y avait pas de pro­nom objet, la phrase pour­rait signi­fier aus­si bien « je veux par­ler » que « je parlerai ».

Karþs­va, le pro­nom karþ vu plus haut suf­fixé avec une conjonc­tion -sva « parce que, car ». Lorsque ce sont deux phrases qui sont conjointes, plu­tôt que deux noms, les conjonc­tions suf­fixées se placent sur le pre­mier mot de la phrase (plus exac­te­ment au der­nier mot du pre­mier syn­tagme, qui peut être un nom seul, ou pré­cé­dé d’un adjec­tif, géni­tif, etc.)

Træ est le déter­mi­nant « plu­sieurs, de nombreux ».

Dod se tra­duit par le déter­mi­nant « mon, ma, mes », et se décom­pose en un élé­ment do (sans réelle tra­duc­tion) et la forme suf­fixale du pro­nom de pre­mière per­sonne sin­gu­lier -d. Dans l’é­cri­ture, ce mot est écrit avec un seul glyphe spécialisé.

Frú­zeþ est le plu­riel de frúz « vache ». Le suf­fixe -(e)þ est réser­vé aux êtres animés.

Gvaks­jækk se décom­pose en gvag-, un pré­verbe avec le sens d’« exa­gé­rer », et sjækk, encore un pas­sé irré­gu­lier, cette fois-ci pour le verbe sepp « man­ger ». La modi­fi­ca­tion de la base s’ex­plique par un état anté­rieur de la langue où la forme était *sep­ki, chan­geant ensuite régu­liè­re­ment en : *sek­ki > *sekk > sjækk.

Ged est un adverbe de temps « main­te­nant ». Il serait nor­ma­le­ment pla­cé dans la phrase à la suite du sujet (pro­nom ou nom), mais la posi­tion ini­tiale en fait le thème de la phrase, l’élé­ment pivot qui contraste avec la situa­tion précédente.

Galþ est le pro­nom sujet de qua­trième per­sonne plu­riel… qu’est-ce qu’une qua­trième per­sonne ? Lors­qu’une troi­sième per­sonne est déjà pré­sente dans le dis­cours, comme ici karþ dési­gnant les deux ours, la qua­trième per­sonne per­met d’in­tro­duire un nou­veau réfé­rent ; ici galþ reprend frú­zeþ « les vaches », qui était l’ob­jet du verbe précédent.

Óbauk est un verbe/adjectif bauk « bon, se sen­tir bien » pré­fixé de la néga­tion ó-. Le verbe est à la forme courte, qui ne peut être employée seule que dans les impé­ra­tifs, les condi­tion­nelles et, comme ici, les sta­tifs ; un verbe dyna­mique comme sepp « man­ger » aurait dû être à la forme longue (síp) pour avoir un sens de présent.

Buts esthétiques

On m’a­vait deman­dé de tirer des ins­pi­ra­tions esthé­tiques du vieux-nor­rois et des langues slaves. Le résul­tat, à mon avis, est plus proche du pre­mier que du deuxième, en tout cas pour le son ; une autre par­ti­cu­la­ri­té qui m’a été sug­gé­rée est l’ab­sence de consonnes nasales (m n) due, dans la dié­gèse, à la volon­té de se dis­tin­guer d’un autre peuple, mépri­sé, qui lui les emploie à foi­son dans sa langue (nom­mée de façon fort appro­priée mym­lurs).

Le sys­tème d’é­cri­ture du hlas­turs, dit kal­gl, est un alpha­bet, écrit de haut en bas puis de droite à gauche. Quelques dis­tinc­tions ne sont pas faites, comme l’op­po­si­tion entre voyelles longues (á é í ó ú ý) et brèves (a e i o u y), et quelques mots ou mor­phèmes gram­ma­ti­caux ont une repré­sen­ta­tion logo­gra­phique, comme -i et dod.

Conclusion

Mes seules obli­ga­tions tou­chaient à l’as­pect pho­né­tique et ortho­gra­phique de la langue. J’é­tais tota­le­ment libre pour la gram­maire. J’au­rais pu conju­guer tous les verbes régu­liè­re­ment (un suf­fixe de pas­sé, un suf­fixe de futur), faire varier les pro­noms en genre au lieu de l’obvia­tion, uti­li­ser un ordre sujet-verbe-objet, avoir un seul suf­fixe de plu­riel… la plu­part des lecteurs/spectateurs auraient-ils remar­qué une dif­fé­rence ? Pro­ba­ble­ment que non ; seuls les pas­sion­nés de langues y auraient trou­vé à redire. Mais c’est jus­te­ment parce que j’en suis un que j’ai tenu à don­ner une pro­fon­deur à cette idéo­langue : à choi­sir entre le dovah­zul du jeu vidéo Sky­rim, qui ne dif­fère que super­fi­ciel­le­ment de l’an­glais (bases ver­bales uti­li­sables comme noms, suf­fixe de géni­tif, infi­ni­tif du verbe for­mé avec une pré­po­si­tion), et le tso­lyá­ni du jeu de rôle Empire of the Petale Throne qui dis­tingue six formes du pro­nom « je » selon le rang social, des pré­fixes d’at­ti­tude per­son­nelle sur les noms et ne fait pas de dis­tinc­tion entre nombres car­di­naux (« deux ») et ordi­naux (« deuxième »)… je par­le­rais bien plus volon­tiers de ce der­nier à des néo­phytes, quand bien même il est plus pro­bable qu’ils aient enten­du par­ler du premier.