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Lettre d’Iliós (traduction)

Voi­ci une exemple de gree­dien ancien en contexte. Il s’a­git d’une lettre écrite par un chef de clan au noble local, en appe­lant à son inter­ven­tion sur une ques­tion de droits de pêche.

Le style peut paraître direct et fami­lier, mais les Gree­diens ne pensent pas qu’u­ser de cir­con­vo­lu­tions pour for­mu­ler des requêtes indi­rectes soit une marque de poli­tesse, même envers des supé­rieurs. Le plan de la lettre est le suivant :

  • 1 : pro­ve­nance et destination
  • 2 : com­pli­ment en lien avec la requête
  • 3 – 6 : pré­sen­ta­tion du problème
  • 7 – 8 : résu­mé des rela­tions entre les par­ties concernées
  • 9 : requête
  • 10 : offre de compensation

L’original

Ten­né sóga Iliós taphé lï thí­lim emïl –Obí’sîm sóga Irlóom nä sungkát na,

Téduǐl sak thómba,

Tek lï Ten­né sógapód — Lékon­do nä Nóge­kis gorúb lï yûpód raa. Géno
phiyép lï Lékon­do yem nä tue­pé Ortúzdǎl Tírasia’biníg sóga dool es dua bóo
wo lï gém duab opat yû. Tírasia’biníg óbab –Lis­puo lï dua lï yé thua­lit, es
gém yubit nä bú sóga ku phiyép yûpód deer phiyép Lékon­do. Dua yubit nä
bú dua yûpód yaas deer ní Lékon­do. Bed óbab Úkhang sopa kuis — Lis­puo.
Dua yaas tígịt raa — Úkhang. Lis­puo nä téthar yûpód gorúbbǒd thóm­ba ló gém
nä yaa zeé­duilít diu. Sák nä dua lï yé ir pot­thór­mo diû.

Glose et traduction

  1. Ten­né
    NP
    sóga
    clan
    Iliós
    NP
    taphé
    che­min

    COM
    thí­lim
    roi
    emïl
    noble
    –Obí’­sîm
    APP\NP
    sóga
    clan
    Irlóom
    NP

    LOC
    sungká‑t
    écrire-MS

    PRS
    De Iliós du clan Ten­né à Irlóom du clan Obí’­sîm, noble du roi,
  2. téduǐl
    très.lourd
    sak
    2.POSS
    thóm­ba
    mémoire
    Ta mémoire est sans faille,
  3. tek lï
    tou­jours
    Ten­né
    NP
    sógapód
    ter­ri­toire

    être
    Lékon­do
    NP

    LOC
    Nóge­kis
    NP
    gorúb
    rivage

    COM
    yûpód
    zone_pêche
    raa
    PASS
    La zone de pêche qui va du vil­lage de Nóge­kis au Flanc de Craie appar­tient au clan Ten­né depuis toujours.
  4. géno
    mois
    phiyép
    deux

    COM
    Lékon­do
    NP
    yem
    mer

    LOC
    tue­pé
    venir
    Ortúzdǎl
    NP
    Tíra­sia’­biníg
    NP
    sóga
    clan
    dool
    barque
    es
    et
    dua
    1
    bóo
    accord
    wo
    trou

    COM
    gém
    DEM.PRON.adver­saire
    duab
    1EV
    opat
    tirer

    pois­son
    Des barques du clan Tíra­sia’­biníg d’Ortúzdǎl viennent dans les eaux devant le Flanc de Craie depuis deux mois et prennent du pois­son sans notre accord.
  5. Tíra­sia’­biníg
    NP
    óbab
    chef_clan
    –Lis­puo
    APP\NP

    COM
    dua
    1

    COM

    PRF
    thual-it
    par­ler-MS
    es
    et
    gém
    DEM.PRON.adver­saire
    yub-it
    assu­rer-MS

    PRS

    EXPL
    sóga
    clan
    ku
    chaque
    phiyép
    deux
    yûpód
    zone_pêche
    deer
    conte­nir
    phiyép
    deuxième
    Lékon­do
    NP
    J’ai par­lé avec Lis­puo le chef de Tíra­sia’­biníg et il jure que la fron­tière entre nos zones passe par le Flanc de Craie.
  6. dua
    1
    yub-it
    assu­rer-MS

    PRS

    EXPL
    dua
    1
    yûpód
    zone_pêche
    yaas
    GNO
    deer
    conte­nir

    entier
    Lékon­do
    NP
    Je jure que ma zone contient l’en­tiè­re­té du Flanc de Craie.
  7. bed
    pierre
    óbab
    chef_clan
    Úkhang
    NP
    sopa
    jeune
    kuis
    frère

    être
    Lis­puo
    NP
    Lis­puo est le neveu de l’an­cien chef Úkhang,
  8. dua
    1
    yaas
    GNO
    tígị‑t
    détes­ter\NEG-MS
    raa
    PASS

    être
    Úkhang
    NP
    que j’ai tou­jours apprécié.
  9. Lis­puo
    NP

    LOC
    téthar
    très.léger
    yûpód
    zone_pêche
    gorúbbǒd
    éten­due
    thóm­ba
    mémoire

    CONS
    gém
    DEM.PRON.adver­saire

    LOC
    yaa
    IMP
    zeé­duǐl-it
    pres­ser-MS
    diû
    FUT
    Lis­puo n’a pas la mémoire des fron­tières, viens et redonne-la lui.
  10. sák
    2

    LOC
    dua
    1

    COM

    PRF
    ir
    grand
    pot­thór­mo
    crabe.bleu
    diû
    FUT
    Nous avons pêché de beaux crabes bleus pour toi.

Remarques grammaticales

Les tirets < – > et < — > signalent que le ton géné­ral de la phrase est abais­sé. Le pre­mier, col­lé à un nom, dénote une rela­tion d’ap­po­si­tion : cela per­met de dis­tin­guer par exemple gutúz kor « le fils du for­ge­ron » et gutúz –kor « (mon) fils for­ge­ron ». Le second pal­lie l’ab­sence d’un véri­table verbe « être », et per­met aus­si l’ex­pres­sion de la topi­ca­li­sa­tion, comme dans la phrase 8.

Sans pré­po­si­tions (ou post­po­si­tions autres que les deux cli­tiques de sens vague « dans, à, sur » et « avec »), le gree­dien a recours à des noms concrets comme taphé « che­min, route » (ligne 1), gorúb « rivage » (ligne 3), yem « mer » et wo « trou » (ligne 4) pour appor­ter plus de pré­ci­sions aux expres­sions locatives.

Les démons­tra­tifs n’en­codent pas la dis­tance comme en fran­çais (« celui-ci » vs « celui-là »), mais la rela­tion émo­tion­nelle. Ici, gém signal que le réfé­rent –l’autre clan et son chef– sont per­çus comme des adver­saires dans le contexte de la lettre.

Le par­fait pré­sente une situa­tion comme étant per­ti­nente au moment de l’é­non­cia­tion (ou de la lec­ture, comme ici). En ligne 5, il per­met de com­prendre « une dis­cus­sion préa­lable, qui aurait per­mis de ne pas faire inter­ve­nir le noble, a bien eu lieu » ; en ligne 10, que la pro­messe de crabes ser­vi­ra de com­pen­sa­tion à une réponse favo­rable de la part du destinataire.

Remarques lexicales

Dans le sys­tème méta­pho­rique de la langue, les sou­ve­nirs sont comme des empreintes de pas (thôn), plus ou moins profonds/lourds, d’où l’emploi du champ lexi­cal du « poids » : téduǐl (ligne 2), téthar et zeé­duǐl (ligne 9).

Il n’y a pas d’ad­jec­tif tra­dui­sant sim­ple­ment « mort » en gree­dien ancien. Le mot bed à la ligne 7 signi­fie que le vieux chef a été enter­ré (dans une crypte) : « chefs de pierre » est une locu­tion dési­gnant une lignée d’ancêtres.

« Neveu » et « frère » sont expri­més par le même mot (voir Paren­té en gree­dien ancien). Pour les dis­tin­guer ici, l’ad­jec­tif sopa signale que ce kuis appar­tient à la géné­ra­tion postérieure.

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