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En décri­vant une langue, on ne devrait jamais pou­voir dire sim­ple­ment « X est la marque du plu­riel ». Il y aura tou­jours des sub­ti­li­tés mor­pho­lo­giques, syn­taxiques et séman­tiques qui atten­dront au tournant.

Nombre nominal

Pluriel

Comme en fran­çais, le plu­riel appli­qué à un nom signale plus d’un objet, avec cette pré­ci­sion qu’ils doivent être épars, sans rap­port les uns aux autres. Amoɣó nótosum « j’ai vu des che­vaux » sous-entend « j’ai vu des che­vaux à des occa­sions différentes ».

Après un mot expli­ci­te­ment plu­riel, comme un numé­ral, le nom reste au sin­gu­lier : véhke nótos « sept chevaux ».

Collectif

Contrai­re­ment au plu­riel, le col­lec­tif sup­pose que des élé­ments mul­tiples forment un groupe. Ain­si, nótoson signi­fie « trou­peau de che­vaux », piɣíkon « banc de sar­dine », vét­mevtil « rang de pom­miers ». C’est aus­si le nombre employé pour signa­ler des paires natu­relles, comme dans tíkle « paire d’yeux ».

Partitif

Les noms de sub­stances, pour qui un plu­riel ou un col­lec­tif feraient peu sens, ont a la place une forme dite par­ti­tive, en -(k)in, tra­dui­sible par « un peu de » ou « une mesure de » : húhin « un peu d’eau, un volume d’eau ».

C’est éga­le­ment le cas pour les noms de qua­li­té en h(o)-, tel que hojép « lar­geur » ; le par­ti­tif se tra­dui­ra par « une ins­tance de, un exemple de » : hojépin « une cer­taine lar­geur, la lar­geur d’un cer­tain objet ».

Pluriel associatif

Les noms d’hu­mains (sous-classe de celle des êtres ani­més), ont un plu­riel asso­cia­tif en -le (-e après l), qui peut se tra­duire par « X et ceux qui lui sont nor­ma­le­ment asso­ciés ». On sous-entend la famille ou un groupe de per­sonnes proches : knáo­viz­noɣ­nikle « un‧e météo­ro­lo­giste et ses amis », tló­zi­sokle « un‧e voleu‧r‧se et ses complices »

Il peut éga­le­ment s’employer avec les pro­noms per­son­nels : aepo­hanle « moi et les miens », kávu­po­hanle « vous et les vôtres ».

Les classes nominales

Les com­bi­nai­sons des dif­fé­rentes ter­mi­nai­sons du sin­gu­lier et du col­lec­tif sont répar­ties selon le sens des noms (entre paren­thèses la consonne d’ap­pui après les radi­caux se ter­mi­nant en voyelle).

Groupes séman­tiquesPlu­rielCol­lec­tif
Ani­més mobiles (humains, animaux)-(v)u-(k)on
Ani­més immo­biles (plantes, cham­pi­gnons, éponges)-ik
-ek (après voyelle)
-k (après i)
-il
-el (après voyelle)
-l (après i)
Par­ties du corps
-ik
-ek (après voyelle)
-k (après i)

-le
-e (après l)
Outils, capa­ci­tés-(s)at-le
-e (après l)
Œuvres, créa­tions de l’esprit
-(j)es-(k)on
Divers-(j)es-(s)at
-(h)at

Les deux ter­mi­nai­sons du col­lec­tif des noms « divers » résultent de la fusion de deux classes, -(h)at étant employé plus spé­ci­fi­que­ment pour les conte­nants ; mais la dis­tinc­tion est de moins en moins faite.

On peut ici par­ler d’un sys­tème de genre gram­ma­ti­cal, car les ter­mi­nai­sons de nombre des adjec­tifs épi­thètes s’ac­cordent avec celles des noms qua­li­fiés : nótosu tómu « des grands che­vaux », jápes tómes « des grandes maisons ».

Nombre verbal et pronominal

Les pro­noms et les verbes n’op­posent que le sin­gu­lier et le plu­riel. S’ils reprennent un par­ti­tif ou un col­lec­tif, l’ac­cord se fera au singulier :

  • Taɣósi nótoson « un trou­peau de che­vaux court »
  • Tan nat hotómin jot « cette hau­teur est trop [éle­vée] »

Un plu­riel asso­cia­tif déclen­che­ra l’ac­cord au pluriel :

  • Tunáe­mat aepá­pale « ma mère et ses amis boivent du thé »

L’u­bag­huns tëhe est une langue à la pho­no­lo­gie mini­male : six consonnes /p t k h tʰ kʰ/, six voyelles orales /a e i o u ɤ /, six voyelles nasales /ã ẽ ĩ õ ũ ɤ̃/. L’ac­cent tonique touche tou­jours la der­nière syl­labe du mot et n’est donc pas dis­tinc­tif. Cepen­dant, il est un aspect de la pro­so­die qui per­met­trait d’op­po­ser deux formes autre­ment iden­tiques : les varia­tions de hau­teur au fil des syl­labes, ou mélo­die tonale.

Valeurs formelles des tons

Ce ne sont pas des hau­teurs abso­lues cor­res­pon­dant à des notes de musique, mais des hau­teurs rela­tives les unes aux autres, sur une échelle divi­sée en cinq :

  • Le ton non mar­qué dit « moyen » et abré­gé M est celui duquel on part pour réa­li­ser les deux autres ; il se situe sur le troi­sième bar­reau de l’échelle
  • Le ton haut abré­gé H est d’un cran (au moins) plus haut que le ton moyen
  • Le ton bas abré­gé L est d’un cran (au moins) plus bas que le ton moyen.

Ces hau­teurs tonales ne se com­binent pas libre­ment dans un mot ; il y a exac­te­ment trois pos­si­bi­li­tés, réa­li­sées sur les deux ou trois der­nières syl­labes. Toutes les syl­labes qui se retrouvent en-dehors de la mélo­die sont M par défaut.

  • Le sché­ma neutre consiste en un ton haut sur la der­nière syl­labe et un ton bas sur l’a­vant-der­nière. Exemples : dëhed /tɤ̀hét/ « pointe de flèche » ; enhade /ẽhàté/ « plume » ; kadob /kʰàtóp/ « coude ».
  • Le sché­ma ‑s consiste en un ton haut sur la der­nière syl­labe. Il est noté dans la trans­crip­tion par un -s. Exemples :
  • Le sché­ma ‑z consiste en deux tons hauts sur les deux der­nières syl­labes, pré­cé­dés d’un ton bas. Il est noté dans la trans­crip­tion par un -z final. Exemples : ubag­hunz /ùpákhṹ/ « langue » ; ihed­di­toz /ihèttítʰó/ « che­min par­cou­ru en rampant ».

Formes sans schéma inhérent

Les mots gram­ma­ti­caux qui s’at­tachent au mot sui­vant (pro­cli­tiques) n’ont pas de mélo­die indé­pen­dante et se réa­lisent donc au ton moyen, sauf si le sché­ma ‑z déborde à gauche.

Syllabe d’appui au schéma ‑z

Le sché­ma ‑z néces­site trois syl­labes, or il est des cas où il doit se réa­li­ser sur un mot dis­syl­la­bique : heton « vil­lage » plus le suf­fixe démons­tra­tif -ez, avec la règle qui veut que la pre­mière des voyelles en contact s’é­lide (et lègue sa nasa­li­té à la sui­vante), devrait don­ner *hetenz /hétʰẽ́/ mais aucune syl­labe n’est là pour por­ter le ton bas. On répare en pré­fixant a(g)- : ahe­tenz /àhétʰẽ́/ « ce vil­lage ». Elle est inutile en pré­sence d’un pro­cli­tique : kin­kin-hetenz /kʰĩkʰĩ̀hétʰẽ́/ « Sur­pre­nant, ce village… »

Valeur sémantique des tons

Le sché­ma neutre est le sché­ma par défaut. Les autres appa­raissent durant les opé­ra­tions gram­ma­ti­cales et la déri­va­tion lexicale .

Le schéma ‑s

Un ensemble de deux mots (ou plus) où le deuxième terme est dans une rela­tion de com­plé­men­ta­tion avec le pre­mier se com­porte comme une uni­té syn­taxique où les par­ti­ci­pants ne sont plus indé­pen­dants, signa­lée acous­ti­que­ment par la sup­pres­sion de tous les tons mar­qués du sché­ma du pre­mier terme, sauf le H de la der­nière syllabe.

Structures nominales

Pour les noms, c’est le cas des struc­tures pos­ses­sives. Exemple : les noms indé­pen­dants kada­din (MLH) « tête » et gian­gig (MLH) « écu­reuil » don­ne­ront kada­dins gian­gig (MMH MLH) « la tête de l’é­cu­reuil » ; uab­bo­duz (MLHH) « mélo­die » et toto (LH) « pluie » feront uab­bo­dus toto (MMMH LH) « le fre­don­ne­ment de la pluie ». Avec le sché­ma neutre, deux noms côte-à-côte seraient dans une simple rela­tion d’ap­po­si­tion : tebid eged « peau qui est jeune, peau jeune » ≠ tebids eged « peau du‧de la jeune ».

Un sché­ma ‑s est éga­le­ment assi­gné aux clas­si­fi­ca­teurs, ces mots qui se placent entre un nombre et le nom comp­té et donnent des indi­ca­tions sur la forme de ce der­nier : bin-bagdes iben « deux enfants », de-kuobs iged­tonz « une oreille cou­pée ». Lorsque les clas­si­fi­ca­teurs sont employés seuls, ils ont le sché­ma neutre : bin-bagde « deux êtres debout », de-kuob « une chose flasque ». 

Verbes

La plu­part des verbes – sauf les verbes intran­si­tifs – forment une uni­té syn­taxique avec leur objet (qui est obli­ga­toire), et pré­sentent donc le sché­ma ‑s par défaut.

  • Verbes tran­si­tifs : ata­bos « vou­loir, dési­rer », din­kos « consom­mer », kië­kios « sécher »
  • Verbes de mou­ve­ment : dang­danges « sau­tiller vers », bikes « voir (diri­ger son regard vers) « , babiges « quit­ter, sor­tir de »
  • Verbes loca­tifs : kii­dins « être atta­ché à », tabis « être assis sur », hide­kis « être comme »

Le schéma ‑z

Le sché­ma ‑z est asso­cié à la pré­sence de suf­fixes sur un nom.

Suffixes dérivationnels

La conver­sion des verbes en noms se fait exclu­si­ve­ment à l’aide de suf­fixes ou de cir­con­fixes (pré­fixe + suf­fixe). Exemples : baghin « par­ler » > ubag­hunz « langue », gëtan­dos « pleu­rer pour la mort de » > higë­tand­hez « défunt‧e récent‧e », aghis « être tem­po­rai­re­ment à » > uaghadz « abri ».

Suffixes flexionnels

Les suf­fixes d’in­for­ma­tion gram­ma­ti­cale sur le nom sont le sin­gu­la­tif -kiz (« un‧e seul‧e »), le démons­tra­tif -ez, le suf­fixe d’a­lié­na­tion -tonz (pour les par­ties du corps qui n’y sont plus atta­chées) et les suf­fixes pos­ses­sifs pro­no­mi­naux (comme -tugz « ton, ta, tes ; votre, vos »).

Il peuvent se cumu­ler, par exemple : ong­ta­tigtën­kez (MMLHH) « celui-ci de tes doigts cou­pés en par­ti­cu­lier », qui se décom­pose en ong­ta-tugz-tonz-kiz-ez moyen­nant quelques adap­ta­tions pho­né­tiques qui feront l’ob­jet d’un futur billet.

Dans les coulisses

Pen­dant long­temps, ma concep­tion du ton était celle d’un sys­tème à la chi­noise (et des langues du sud-est asia­tique en géné­ral), où chaque syl­labe sup­por­tait un contour tonal qui pou­vait être mon­tant, des­cen­dant, haut, bas, moyen, etc. J’a­vais enten­du par­ler des sys­tème dits « à accent de hau­teur » (sué­dois et japo­nais), où le mot rece­vait une mélo­die rela­tive à l’ac­cent tonique, mais sans vrai­ment le com­prendre ou l’employer dans mes créations.

Puis il y a un an, un article est paru sur Fiat Lin­gua : « Tones for Conlan­gers : A Basic Intro­duc­tion » par Aidan Aan­nes­tad, expli­quant de façon claire et avec force exemples com­ment conce­voir le fonc­tion­ne­ment du ton, en tant que phé­no­mène pro­so­dique indé­pen­dant de la forme pho­né­tique d’un mot, com­ment il inter­agit avec d’autres seg­ments, et com­ment il peut évo­luer his­to­ri­que­ment dans une langue.

J’ai été tel­le­ment mar­qué que depuis, la moi­tié de mes idées concerne des idéo­langues à tons, et j’ai même refon­du la plus ancienne dans un moule tonal pour lui redon­ner un nou­veau souffle. Je pense, comme Aidan Aan­nes­tad, qu’il n’y a pas assez de langues construites de ce type. Avis aux amateurs !

Bien­ve­nue sur mon blog ! (pro­non­cia­tion [API] : /ˈvale aɪ̯ˈtihtoʊ̯ɣaʝasikoka/)

Dans la langue ɣu, le titre de ce billet se décom­pose ainsi :

  • vále est une forme ver­bale (le conjonc­tif pré­sent) du verbe « sen­tir », et tout ce qui reste d’une expres­sion plus longue Aoɣáo­ci poe vále tóve « je vous accepte et vous sens[trouve] agréable »
  • aetíh­touɣa­ja­si­ko­ka est for­mé de :
    • ae-, pré­fixe pos­ses­sif de 1re per­sonne singulier
      • tíh­tol mot signi­fiant « page » 
      • ɣája­si l’ad­jec­tif « électrique »
    • -(k)on suf­fixe de nombre col­lec­tif (un ensemble de)
    • -ka suf­fixe de cas loca­tif (dans, sur, à).

Lit­té­ra­le­ment, j’ac­cepte [votre venue] sur mon jour­nal électrique !

J’es­père que voi­là un bon aper­çu de la manière qu’a le ɣu de construire ses mots et ses phrases.